En décembre 2005, j’ai eu le plus beau cadeau de ma vie: un test de grossesse positif. Quelle belle façon de passer les Fêtes et de commencer une nouvelle année!

Thomas, mon amoureux, était fou de joie; nous désirions ce petit bébé plus que tout au monde. Les sept premiers mois de ma grossesse se sont déroulés sans histoire: quelques nausées ici et là, un peu de fatigue, quelques fantasmes culinaires bizarres… la routine, quoi! J’ai passé deux échographies et, chaque fois, on m’a dit que tout était parfait. J’ai su que j’attendais une petite fille, j’étais ravie.

À la 34 semaine de grossesse, j’ai subitement commencé à avoir très mal au ventre. Mon obstétricien m’a examinée et a conclu que mon bébé se présentait par le siège: ses petites fesses étaient appuyées contre mes intestins, ce qui expliquait mes douleurs. Afin de s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres complications, il a insisté pour que je passe une troisième échographie. Au cours de celle-ci, il a confirmé son diagnostic: mes douleurs étaient bel et bien causées par la position du bébé et il n’y avait rien à faire.

Il m’a expliqué que j’allais devoir prendre mon mal en patience jusqu’à l’accouchement. Soudainement, il est devenu silencieux. Il s’est mis à déplacer la sonde de son appareil sur mon gros ventre rond et à scruter l’écran; il avait l’air de plus en plus perplexe. Il est sorti de la pièce sombre où nous étions. Je me suis retrouvée seule avec Thomas. Nous étions morts d’inquiétude.

Le médecin est revenu avec le chef du département. Nouvelle échographie, silence plus lourd encore… Puis, il a prononcé son verdict: «Bon, je vais vous annoncer quelque chose qui ne va pas vous plaire: votre bébé n’a qu’une seule main.» J’étais bouche bée. Il devait y avoir une erreur! L’obstétricien a de nouveau posé la sonde de l’appareil sur mon ventre et, en pointant l’écran, il nous a dit: «Regardez: ici, il y a une main droite, mais là, il n’y a pas de main gauche.»

 

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Je n’en revenais tout simplement pas. Pourquoi moi? Pourquoi mon bébé? Qu’est-ce que j’avais fait qu’il ne fallait pas faire? Je ne fumais pas, je ne buvais pas, je mangeais des aliments biologiques, je prenais soin de moi.

J’étais complètement sous le choc. Pour nous rassurer, le médecin a ajouté que, mis à part ce handicap, mon bébé semblait normal. Il nous a alors demandé si nous avions des questions… Des questions? J’en avais mille, mais j’étais incapable d’en formuler une seule. Fin de l’entretien!

En sortant de l’hôpital, Thomas s’est effondré. Il s’est mis à pleurer à chaudes larmes. Il était inconsolable. Moi, je luttais pour ne pas m’écrouler. Je pensais à ma petite fille qui était encore nichée dans mon ventre. Je me disais qu’elle ressentait tout. Je voulais qu’elle sente que j’étais forte, présente et «enveloppante», que je l’attendais toujours avec la même impatience et le même amour.

Lorsque je suis arrivée à la maison, toutes les questions que je n’avais pas été capable de poser à l’hôpital se sont mises à tourner dans ma tête à une vitesse folle: était-ce de ma faute? Était-ce génétique? Pourquoi les médecins n’avaient-ils rien remarqué au cours des deux échographies précédentes? Se pouvait-il que mon bébé ait d’autres anomalies physiques? Ou qu’il souffre d’un retard mental? Y avait-il des opérations possibles, des greffes? Je me suis installée à l’ordinateur et j’ai fait des recherches pour tenter de comprendre un peu mieux ce qui se passait.

J’ai finalement trouvé le site de l’Association des amputés de guerre. Celle-ci a mis sur pied un programme, appelé Les vainqueurs, dont le but est d’aider les enfants privés d’un ou de plusieurs membres, ainsi que leur famille.

J’ai envoyé aux responsables de cet organisme un message dans lequel je racontais ce que je venais d’apprendre. Après quelques heures à peine, ils m’ont envoyé un long courriel pour me rassurer et m’expliquer ce que signifie le fait d’avoir un enfant qui naît avec un membre en moins. Ils m’ont offert de l’aide et m’ont assurée qu’ils seraient là pour nous soutenir après la naissance de notre bébé. Ma peine était toujours aussi grande, mais je me sentais un peu moins seule.

 

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Je me suis ensuite réfugiée chez mes parents pendant une semaine, le temps de faire le point. J’étais épuisée. Mes crampes au ventre persistaient, et je dormais peu. Mes parents ont eu la délicatesse de ne pas aborder le sujet. Ils comprenaient que j’avais besoin de me changer les idées.

Ils m’ont fait sortir, m’ont amenée à tous les restaurants où j’avais envie d’aller et ont pris soin de moi. Mon père m’a même massé les pieds! Je me sentais aimée, protégée. Pendant ce séjour, j’ai appelé ma meilleure amie et je lui ai tout raconté au téléphone. C’était la seule personne à qui je pouvais tout dire: mes peurs, ma déception, le deuil que j’avais à faire d’un enfant parfait… La conversation a duré des heures. J’ai tellement pleuré. Ça m’a fait un bien immense.

À la 37 semaine de grossesse, j’ai accouché par césarienne d’un magnifique petit bébé aux grands yeux bleus. Océane était belle comme tout, en pleine forme et en bonne santé. Sa petite main manquante était finalement bien peu de chose comparativement à notre joie de la tenir dans nos bras. Pendant que les médecins s’affairaient autour de moi, j’observais Thomas qui berçait notre fille. Il était ému, comblé.

Dans les semaines qui ont suivi la naissance d’Océane, l’Association des amputés de guerre nous a invités, Thomas et moi, à une réunion où des parents et des enfants amputés venaient témoigner de leur expérience. À partir de cette rencontre, mes craintes ont fondu comme neige au soleil.

J’ai pu constater que ces petits n’avaient pas autant de difficultés que je l’avais imaginé: plusieurs faisaient du sport et pratiquaient toutes sortes de hobbys. À l’école, ils arrivaient assez bien à s’intégrer. Une fois adultes, ils trouvaient du travail, se mariaient et fondaient une famille. Ils menaient une vie normale, quoi! Évidemment, leur quotidien n’était pas sans épreuve, mais leur créativité était telle qu’ils surmontaient leurs difficultés.

 

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Peu à peu, Thomas et moi avons appris à vivre avec le handicap de notre fille. Au début, mon conjoint dissimulait le bout du bras gauche d’Océane quand nous étions en public. Il avait peur du regard des gens. Je n’étais pas d’accord avec lui.

Nous en avons beaucoup parlé. Pour moi, nous n’avions rien à cacher. Je ne voulais pas que notre fille ait l’impression que nous avions honte. Je voulais qu’elle se sente aimée, inconditionnellement. Oui, elle avait un handicap, mais celui-ci ne la définissait pas. Elle n’était pas que ça! Maintenant, Thomas ne cache plus rien. Océane est notre fille, et nous en sommes fiers. Notre couple est d’ailleurs sorti plus fort de cette épreuve. Je crois que la communication y est pour beaucoup.

Aujourd’hui, Océane a deux ans et demi. Elle a une force de caractère incroyable et une volonté de fer. Lorsqu’elle se heurte à une difficulté, elle cherche des solutions. Bien sûr, il y a des gestes banals – par exemple faire passer un objet d’une main à l’autre – qu’elle ne peut pas exécuter, mais elle trouve toujours toutes sortes d’astuces pour arriver à ses fins. Parfois, lorsqu’elle n’y parvient pas, elle se met en colère. Il faut dire qu’elle a du tempérament!

J’essaie alors de lui montrer qu’elle pourrait rester calme, mais jamais je ne tente de réprimer son caractère. Si j’essayais, je ne crois pas qu’elle me laisserait faire; et surtout, je sais à quel point elle aura besoin de force, de confiance en elle-même et de fougue pour pouvoir se défendre dans la vie.

Océane commence à comprendre sa différence. Pour lui en parler, je lui raconte l’histoire de Némo, ce petit poisson pas comme les autres, qui a une grande nageoire et une autre toute petite. À la garderie, il arrive que les enfants demandent pourquoi elle n’a pas de main gauche. Dès que nous leur répondons qu’elle est née comme ça, ils sont satisfaits. Ils ne s’en formalisent pas. Je sais bien que, à la petite école et à l’adolescence, ça risque d’être plus difficile pour elle, mais nous n’en sommes pas encore là. Je crois qu’Océane saura faire sa place, et qui sait, peut-être encore plus que les autres…

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE BÉLANGER-MARTIN

 

ztriso.jpgÀ lire: "Je me suis battue pour que mon fils trisomique ait une vie normale"