À 41 ans, Manon L.* voit sa vie basculer : le diagnostic de cancer du sein ne lui laisse pas le choix, elle doit subir une mastectomie du sein gauche. Le chemin vers la guérison sera long, mais grâce à sa force de caractère et au soutien de son entourage, elle réapprivoisera lentement son corps mutilé et retrouvera sa féminité et sa sexualité. « Toutes les femmes frappées par un cancer du sein sont touchées dans leur sexualité à divers degrés », dit Nicole Desjardins, sexologue clinicienne et thérapeute conjugale.

C’est d’abord l’image de soi qui est atteinte : le sein, symbole fort de la féminité, reste étroitement lié à la capacité de séduction, à la sexualité. Certaines femmes choisissent donc une reconstruction immédiate du sein. La guérison est souvent plus lente physiquement, mais plus rapide psychologiquement, selon la sexologue. Pour des raisons personnelles, Manon a choisi de ne pas subir de reconstruction. Dans ce cas, la perte d’un sein demeure plus difficile à camoufler. « Avant de l’accepter sur le plan sexuel, il faut l’accepter sur le plan personnel. Réapprendre à porter des chandails moulants, un maillot de bain… », précise Manon.

De retour après la pause…
Les traitements du cancer demeurent éprouvants physiquement et marquent souvent une pause dans la génitalité, qu’on soit en couple ou non. Le retour à une sexualité active demande donc une adaptation à ce « nouveau » corps qui ne se limite pas qu’à la poitrine. « Le sein, c’est une chose, mais il y a aussi la perte des cheveux ou encore la diminution de la lubrification », confie Manon. La sécheresse vaginale reste d’ailleurs l’un des effets les plus marqués des traitements contre le cancer. Pour certaines femmes, il sera même presque aussi important que la perte d’un sein, souligne la sexologue.

* Nom fictif

Le désir en panne
On estime que 58 % à 65 % des femmes touchées par un cancer du sein maintiennent une sexualité active. En effet, les traitements entraînent souvent une perte de désir et les femmes doivent parfois trimer pour le retrouver. « Mais si vous titillez le désir, il va revenir ! », assure Nicole Desjardins. Bien sûr, il ne faut pas craindre de recourir à certaines fantaisies ou mises en scène. L’important est de travailler avec son conjoint à établir un contexte amoureux. Les relations sexuelles seront peut-être moins pulsionnelles, moins naturelles, mais elles pourront être tout aussi intenses pour les deux partenaires.

Accepter le changement, c’est donc choisir une sexualité différente mais tout aussi satisfaisante. « Un sein en moins, ce n’est pas une menace à ma sexualité, c’est un ajustement. Bien sûr, j’aurais préféré que cela ne se produise pas, mais ça fait partie de moi maintenant », dit simplement Manon, à l’aube de la cinquantaine. Accepter le changement peut aussi signifier accepter l’inconfort. « Des seins ultrasensibles aux caresses avant la chirurgie deviendront peut-être plus sensibles à la douleur après l’intervention », précise Nicole Desjardins. La clé, c’est de ne pas avoir peur de la nouveauté et de trouver son plaisir… ailleurs ! « J’ai l’autre partie de ma poitrine… et j’ai tout le reste de mon corps ! Ça fait beaucoup d’endroits à explorer », souligne Manon d’une voix coquine.

Accepter le changement, c’est aussi miser davantage sur la sensualité et moins sur la performance. Nicole Desjardins ajoute que pour se sentir à l’aise, certaines femmes préféreront garder leur soutien-gorge ou tamiser l’éclairage pour faire l’amour. L’important est de s’écouter.

Exit les tabous !
En couple, il ne faut surtout pas avoir peur de parler à son partenaire, d’exprimer ses peurs, ses besoins. « Éviter l’évitement, c’est essentiel », précise la sexologue. Car le conjoint peut lui aussi ressentir un malaise face à la maladie de sa compagne, une gêne quand il s’agit de toucher. La réaction du partenaire sera souvent déterminante afin que la femme retrouve la confiance. « J’ai la chance d’être avec un homme extraordinaire qui m’a rapidement fait comprendre que, pour lui, ce changement ne faisait aucune différence. »

Si, comme pour Manon, le couple est solide, les chances paraissent bonnes de retrouver l’intimité d’avant. Cela peut même être l’occasion de redéfinir le couple et pourquoi pas d’améliorer sa vie sexuelle. Bien sûr, chaque ménage est différent et au final « la sexualité postcancer restera liée à celle qui existait préalablement », rappelle Nicole Desjardins. Pour les femmes seules, l’angoisse d’être avec un nouveau partenaire représentera souvent un enjeu important. Encore une fois, être honnête avec soi-même et avec son partenaire permettra de dépasser les malaises et d’envisager sainement une nouvelle relation.

Se faire aider
Que ce soit en parlant avec des personnes qui ont connu une situation similaire ou en consultant un professionnel, échanger permet d’accélérer la guérison. Grâce au service Cancer J’écoute de la Société canadienne du cancer, Manon a pu partager ses craintes avec des femmes qui avaient vaincu le cancer avant elle. Certains sexologues, notamment Sylvie Henry, sont spécialisés en oncosexologie et proposent des approches adaptées aux différents types de cancer.

Bien sûr, chaque femme reste unique et il n’existe malheureusement pas de recette miracle pour retrouver une vie sexuelle épanouie. Chose certaine, le cancer du sein ne signifie pas que l’on doive faire une croix sur sa sexualité ! Certaines femmes, comme Manon, se réapproprieront leur plaisir sans trop de mal. Pour d’autres, le processus sera plus douloureux. Mais il y a de l’espoir. « Avoir perdu un sein, ça ne m’empêche pas de faire des choses, au contraire ! Je porte aujourd’hui un bikini adapté. La dernière fois que j’en ai porté un, j’avais 20 ans ! », conclut Manon.

* Certaines boutiques de lingerie proposent des sous-vêtements adaptés aux femmes ayant subi une mastectomie, avec un design de plus en plus stylisé.
La vie en Rose – collection post-mastectomie