Les statistiques ne mentent pas: plus le temps passe, plus les jeunes attendent avant de se marier. En 1979, les Québécoises convolaient en moyenne à 23 ans. Trente ans plus tard, elles attendent d’avoir soufflé leurs 30 bougies. Le mariage, jadis en haut de la liste des priorités des jeunes adultes, semble être devenu le dernier de leurs soucis.

En 2011, les «anormaux» ne sont plus les vieilles filles et les vieux garçons, mais les jeunes époux. «Aujourd’hui, on ne se marie qu’après avoir fait tout le reste», affirme Elizabeth Abbott, auteure de l’ouvrage Une histoire du mariage, un pavé de 500 pages paru chez Fides en 2010. «Il y a quelques années, un de mes neveux québécois m’a dit qu’il était finalement prêt à se jeter à l’eau… après avoir eu deux enfants, acquis une maison, une résidence secondaire, un chien et un cochon d’Inde!» poursuit-elle en riant.

Les raisons qui incitent les gens à repousser la date du grand jour sont aussi nombreuses que connues: la pression sociale a disparu, on poursuit ses études plus longtemps, le célibat n’est plus considéré comme une source de malheur et le concubinage n’est plus mal vu, qu’on ait des enfants ou non. À vrai dire, il n’existe plus réellement de raisons de se marier. On perçoit le mariage comme quelque chose d’inutile, voire comme un préliminaire au divorce; bref, c’est presque devenu une étrangeté au Québec. Pourtant, les moins de 30 ans aspirent encore, jusqu’à un certain point, à s’échanger des alliances.

 

L’attrait de la liberté

Chaque année, un peu plus de 15 000 Québécois de 30 ans et moins se marient. Pourquoi décident-ils de s’unir devant tous, alors qu’ils pourraient se contenter d’être conjoints de fait? «Parce qu’ils ont le choix, et qu’ils peuvent s’interroger sur leurs désirs et leur façon de vivre», explique Elizabeth Abbott. L’auteure est persuadée que cette liberté rend le mariage désirable et qu’elle lui donne tout son charme.

Les jeunes époux consultés pour les besoins de cet article corroborent cette idée. Ils ne voient ni réel avantage ni réel inconvénient au mariage. Pour eux, il s’agit d’un choix symbolique et, généralement, d’une célébration de l’amour avec un grand A. «On s’est mariés parce qu’on s’aimait comme des fous, qu’on voulait rester ensemble toute notre vie et qu’on souhaitait que la terre entière le sache», explique Sophie, une journaliste qui a épousé son chum à 27 ans.

Selon Elizabeth Abbott, les jeunes qui tiennent encore au mariage estiment qu’il constitue le meilleur cadre pour élever des enfants. Par ailleurs, les contes de fées made in Hollywood ne sont pas étrangers à leur désir de se passer la bague au doigt, ajoute-t- elle. «Je pense que la culture pop a une influence importante. Le mariage est partout: les magazines et les chansons en parlent, il y a le défilé incessant des stars qui se marient… Cela engendre la présomption que nous allons tous convoler un jour ou l’autre en justes noces», dit-elle.

Elle-même mariée (plutôt deux fois qu’une), l’historienne croit que l’attrait de cette institution provient en grande partie de l’idée romantique qu’on s’en fait. Cette idée est erronée, s’empresse-t-elle d’ajouter. «Les jeunes parlent du passé comme d’une période formidable où les gens se mariaient et faisaient de gros efforts pour préserver leur union, ce qui n’était pas du tout le cas», précise-telle. Dans Une histoire du mariage, elle souligne que cette institution a presque toujours été synonyme de contraintes et de souffrances, particulièrement pour les femmes. «Évidemment, poursuit l’auteure, le genre d’union dont les jeunes femmes rêvent aujourd’hui n’a rien à voir avec les mariages du passé: elles veulent des liens égalitaires, dont elles pourront se défaire si elles le désirent», précise-t-elle.

Célébrer pour briller

Jacques Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal, abonde dans le même sens. Pour lui, la signification du mariage a évolué chez les jeunes. «De nos jours, celui-ci représente moins une union sacrée qu’un rite qui vaut pour lui-même», dit-il. Cette célébration est même devenue quelque peu narcissique, selon lui. Dans un monde où les familles sont plus petites et où nous sommes plus que jamais isolés les uns des autres, le mariage donne l’occasion de briller, «de montrer que nous existons», croit le professeur. «Durant toute une journée, nous sommes bien entourés, et les projecteurs sont braqués sur nous», observe-t-il.

L’abondance de divorces et la multiplication des familles recomposées ne semblent pas décourager les jeunes qui sont prêts à passer à l’acte. Au contraire! Selon certaines recherches, les membres de la génération Y – celle des enfants du divorce – n’ont pas abandonné l’espoir de former des couples et des familles qui perdurent. Ainsi, une enquête menée par le quotidien La Presse en 2004 a dévoilé que 69% des 18-24 ans souhaitaient passer toute leur vie avec la même personne.

En 2006, des professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue ont effectué une étude qui a abouti aux mêmes conclusions. La famille occupait le premier rang dans l’échelle de valeurs du groupe de jeunes interrogés (composé en majorité de filles), et 69 % d’entre eux avaient l’intention de se marier un jour. «Je ne veux pas faire de la psychologie bon marché, mais on peut se demander si les jeunes ne cherchent pas à régler des comptes avec leurs parents en leur disant: "Vous avez échoué. Nous, on va réussir!"» avance Jacques Hamel. Leur entreprise est-elle couronnée de succès? Ça, c’est une autre histoire…

Serge Vallée, qui organise des préparations au mariage catholique au sein du diocèse de Montréal, pense également que les enfants du divorce sont animés d’un profond désir de fonder des unions fortes et durables. «Il y a 10 ou 15 ans, les gens qui se mariaient étaient aussi sérieux dans leur démarche, mais ils n’avaient pas la même intensité, dit-il. L’engagement et la durée, c’est devenu important pour les jeunes mariés.»

Le Mieux: être riche et éduqué

Assez étonnamment, les études réalisées sur l’âge des personnes qui se marient ne permettent pas de déterminer s’il vaut mieux s’épouser dans la vingtaine ou plus tard quand on veut que son union perdure. Par contre, elles révèlent qu’on n’est pas forcément égaux devant l’autel. Ainsi, mieux vaut avoir terminé des études post-secondaires et être à l’aise sur le plan financier si on veut un jour convoler. En effet, selon les résultats d’une vaste étude du magazine américain Time menée en novembre 2010, ceux qui détiennent un diplôme post-secondaire ont plus de chances de se marier (64%) que ceux qui ont interrompu leurs études plus tôt (48%).

Elizabeth Abbott est convaincue que ce phénomène se vérifie au Québec. «On ne peut pas séparer le mariage des questions économiques, dit-elle. Aujourd’hui, si on travaille au salaire minimum, si on a juste assez d’argent pour survivre et payer le loyer, tout devient une épreuve, y compris le mariage. Et quand on a des enfants, la pression et le stress sont multipliés par 1000. Que des gens puissent songer à s’épouser et à préserver leur union dans de telles conditions relève du miracle», commente l’historienne. Preuve ultime qu’il vaut mieux poursuivre ses études pour réussir son mariage: il semblerait que le nombre de divorces diminue chez les détenteurs de diplômes post-secondaires et qu’il augmente chez ceux qui n’en possèdent pas. Quand on dit que l’instruction, c’est important…

Témoignages de jeunes époux

Michel et Audrey: une surprise totale

Michel et Audrey se sont rencontrés alors qu’ils étaient très jeunes. Elle avait 17 ans, et lui, 23. Ils n’avaient jamais rêvé de mariage, mais leur rencontre a changé les choses. «Avant, je ne pensais pas du tout que j’allais me marier un jour, confie Audrey, qui travaille dans l’industrie pharmaceutique. Je ne croyais pas non plus que j’aurais des enfants. Maintenant, j’en ai trois!» dit-elle en riant. Les amoureux ont convolé en septembre dernier, après sept ans de vie commune. «On était fiancés depuis des années, alors c’était dans l’ordre des choses; ça ne change rien à notre relation, mais c’est une belle expérience», soutient Michel, un routier. «Au fond, on l’a un peu fait pour respecter les traditions, affirme Audrey. C’était une manière de souligner le sérieux de notre relation.»

Sophie et Philippe: un acte de foi

Cette journaliste et ce directeur du personnel d’un club vidéo de répertoire se sont unis à 27 et à 23 ans respectivement. Ce sont des passionnés du mariage. Ils considèrent cette institution comme ultraromantique; jamais ils n’auraient pu se contenter de vivre en concubinage. «L’expression "conjoint de fait" nous pue au nez, dit Sophie. C’est un statut qui relève d’un constat factuel et non pas d’une prise de position. C’est la voie de la facilité», déplore-t-elle. Pour eux, le mariage est «un acte de foi». «C’est la confirmation du fait qu’on croit en notre amour», ajoute Philippe.

Terminant les phrases l’un de l’autre, les jeunes époux expliquent qu’ils se sont mariés trois ans après le début de leur relation. Comprennent-ils ceux qui attendent davantage avant d’unir leurs destinées? Pas du tout! «Attendre, c’est paresseux, c’est peureux, c’est frileux», martèle Sophie. «C’est comme si, pour ces gens-là, le mariage s’inscrivait dans une longue suite d’évènements, après la maison, les études, les enfants… Ça dépersonnalise l’institution. Tu ne te maries plus parce que tu aimes l’autre, mais parce que tu es rendu à cette étape de la vie», soutient Philippe.

Étant donné leur enthousiasme inconditionnel pour le mariage, Sophie et Philippe comptent renouveler leurs voeux tous les 10 ans. Leurs «deuxièmes» épousailles auront lieu dans deux ans et demi. «On va faire ça entre nous, avec nos enfants. On ira en voyage quelque part et on s’offrira une cérémonie très intime, rien que pour le bonheur d’être ensemble, de nous témoigner notre amour et de le célébrer», confie Sophie.

Léa et Pierre: un rite de passage

Facebook ne sert pas qu’à renverser des dictatures dans le monde arabe; il bouleverse aussi des vies au Québec. Pierre et Léa en savent quelque chose. Ils s’étaient connus à l’école primaire, puis s’étaient perdus de vue. «On était déjà amoureux en troisième année», assure Léa en riant. Une quinzaine d’années plus tard, grâce à la magie des réseaux sociaux, ils se sont retrouvés et ont commencé à sortir ensemble. Après deux ans de fréquentations, en 2009, ils se sont mariés. Il avait 26 ans, et elle, 27.

Ils disent n’avoir eu ni doute ni hésitation. «Tu ne te poses pas vraiment la question quand tu sais que tu es avec la bonne personne», soutient Pierre, qui termine sa maîtrise en science des religions et qui est accompagnateur dans le domaine des soins spirituels. Tous deux sont issus de familles soudées (leurs parents sont toujours en couple), et ils étaient convaincus qu’ils se marieraient un jour. «C’était comme un rite de passage que je savais que j’allais accomplir», poursuit Pierre. Quant à Léa, qui est blogueuse et conseillère en relations amoureuses (love coach, dans la langue de Carrie Bradshaw), elle croit que son mariage est, entre autres choses, une manière de différencier sa relation avec Pierre de celles qui l’ont précédée, de la mettre sur un piédestal. «Le mariage, c’est une façon d’honorer la découverte de l’amour véritable», conclut-elle.

 

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