La rencontre

Quand je repense à ma drôle d’histoire avec Elliott, je vois bien jusqu’où j’étais prête à aller par amour… ou plutôt pour être aimée. Et si je suis vraiment honnête avec moi-même, je dois avouer que j’ai toujours été influençable, voire prête à changer d’avis et de vie dès qu’un homme intéressant se pointait. Je pense à Alain, que j’avais connu à  l’université et qui ne rêvait que de réaliser des films. Qu’est-ce que j’ai fait? Eh bien, j’ai abandonné mes cours en sociologie pour m’inscrire en cinéma, histoire de me rapprocher de lui. Une mauvaise idée. Non seulement mes notes ont vite frôlé la catastrophe (je trouvais le cinéma russe d’un ennui!), mais Alain m’a quittée pour une vraie cinéphile. Qu’ai-je appris de cette mésaventure? Pas grand chose, puisque ce scénario peu glorieux s’est plus ou moins reproduit jusqu’à mes 32 ans, lorsque j’ai rencontré Elliott.

Aaah, Elliott! Il avait ce je-ne-sais-quoi d’animal, de fort et de magnétique. Il avait des idées, des valeurs, des convictions. Mieux, des aspirations. Il croyait en la beauté du monde et en la survie de la planète. Dès que je l’ai vu chez mon frère, j’ai rougi, et j’ai senti que je lui plaisais aussi. Il faut dire qu’il avait un look d’enfer dans son jean et son t-shirt (100 % chanvre, bien sûr), et une aisance craquante.

Après une brève conversation, il nous a invités, mon frère et moi, à manger dans une pizzéria végétarienne qui soutient la cause du Tibet. Inusité, comme concept! Je me suis dit: «Pourquoi pas?» Dès que nous sommes passés à table, Elliott s’est penché vers moi et m’a chuchoté: «Tu vois, ici, on peut manger sainement et nourrir une grande cause.» Puis, il s’est mis à nous parler de sa passion, la survie de la planète. Il nous racontait ses voyages partout dans le monde et s’enflammait pour ses activités anti- OGM. Je buvais ses paroles! Mon frère s’en est aperçu et il nous a vite laissés, Elliott et moi, en tête-à-tête.

 

 

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Le tournant amoureux… et écolo

Nous nous sommes attardés au resto jusqu’à l’heure de la fermeture avant de faire une longue promenade dans son quartier, près du marché Jean-Talon. Il m’a ensuite invitée chez lui, dans le loft qu’il avait lui-même entièrement réalisé avec des matériaux de récupération. Normal, le bel Elliott était entrepreneur en construction écologique – un métier dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Chez lui, il y avait du bois, du béton et d’immenses fenêtres; des plantes partout, mais pas de télé ni de micro-ondes; une douche mais pas de baignoire; quelques meubles recyclés, un matelas en latex écologique et des tonnes de bougies en cire d’abeille. Un peu austère, mais si dépaysant! Je me serais crue dans le temple du dieu de l’écologie. J’aurais dû me méfier d’une telle quête de la perfection. Mais j’étais déjà folle de lui.
 
Malgré nos grandes différences, nous sommes rapidement tombés dans les bras l’un de l’autre et nous ne nous sommes plus quittés. Nous nous voyions tous les jours et dormions chez lui toutes les nuits, matériaux «toxiques» de ma maison obligent. J’avais tant à apprendre de lui sur la vie en vert. Bien sûr, comme à peu près tout le monde,  je recyclais déjà, j’évitais de prendre ma voiture pour aller au club vidéo et je limitais ma consommation d’eau. Mais plus Elliott me sensibilisait aux dangers qui menaçaient l’environnement, plus je prenais le virage écolo.

 

La complice « écolo » idéale

Résultat: en moins de six mois, j’ai vendu ma voiture, je me suis mise à recycler absolument tout et j’ai appris à faire mon propre compost. Moi qui ne jurais que par un bon steak pour me donner de l’énergie, j’ai cessé de manger de la viande rouge et je me suis mise à acheter des produits locaux et équitables, quitte à dépenser davantage au marché. J’ai même arrêté de fumer ma petite cigarette occasionnelle. Si bien que mon frère, déconcerté par ce changement de vie radical, m’a surnommée la «nouvelle Laure Waridel»! Ce qui flattait mon égo malgré le brin d’ironie de l’allusion.

Quant à mes amis, que ma conversion faisait un peu rigoler, ils ne se gênaient pas pour me demander si j’étais entrée en religion… Seule ma copine Maryse m’a prise à part pour m’avouer ses craintes à propos de l’influence d’Elliott sur moi. Mais je me suis dit qu’«un jour elle aussi comprendrait l’urgence d’agir pour sauver la planète».

Un premier soupir de découragement

Certes, les réflexions de mon entourage auraient dû me mettre la puce à l’oreille sur l’extrémisme de ma démarche. Mais non! J’étais amoureuse, et même un an après notre rencontre, je ne voulais qu’une chose: montrer à Elliott que je pouvais être sa complice idéale, celle qui ferait cause commune avec lui, en dépit de son côté donneur de leçons qui m’agaçait un peu. «La planète se meurt, et toi tu ne penses qu’à prendre une longue douche chaude!»; «Je ne comprends pas que tu fréquentes encore Sébastien, un publicitaire vendu aux marques capitalistes…»; «Tu savais qu’il existe des tampons bio?», me faisait-il remarquer. Bref, je pouvais toujours m’améliorer.

Quoi de mieux que des vacances écotouristiques pour vivre selon ses convictions? Mon géant vert avait tout organisé en me promettant que «j’a-do re-rais le feeling de décrocher tout en prenant soin de la nature». Nous nous sommes donc retrouvés dans le train, à discuter d’écosystème.

L’écosystème, les changements climatiques, le danger des sables bitumineux… tous ces sujets étaient devenus une obsession et monopolisaient nos conversations. J’avoue que ce jour-là, j’aurais préféré que nous nous extasions sur le plaisir d’être ensemble plutôt que sur ce qui menaçait l’or bleu. Et puis, pour la première fois en un an et demi, j’ai retenu un soupir de découragement en pensant au camping sauvage, au kayak de mer et aux randonnées pédestres à la dure qui nous attendaient pour les deux prochaines semaines.

Mais bon, c’était ma nouvelle vie, et la Terre en détresse valait bien que je lui sacrifie quelques nuits de confort, non? C’est ce que je me suis dit pendant notre première semaine de vacances – assez éprouvante, merci! -, passée à nous taper les piqûres d’insectes, les chavirements en kayak, les courbatures, les randonnées sous la pluie et les minces truites grillées devant la tente humide.

La prise de conscience

Cela dit, le pire, c’était les pointes que me lançait Elliott. Rien ne trouvait grâce à ses yeux. D’où ma tête d’enterrement, le soir, autour du feu de camp. Heureusement, nous nous retrouvions sous la tente, et ça nous rapprochait. Difficile de faire l’amour de manière plus écologique qu’en pleine nature!

Mais voilà, plus les vacances avançaient, plus le virage vert me faisait voir rouge. À l’évidence, je commençais à perdre la foi. Un soir, alors que je lui faisais part de mes doutes sur mon «éveil planétaire», Elliott s’est mis à me sermonner sur la nécessité de repousser les limites de mon engagement. J’étais renversée. C’était tout ce que je récoltais après tant d’efforts: l’injonction de me dépasser! D’où me venait cette désagréable sensation que mon dieu écolo était en fait un ayatollah du bio?

Ce soir-là, nous nous sommes couchés chacun de son côté. J’ai passé la nuit à me poser des questions sur mes motivations profondes. Qu’est-ce que je faisais là, en plein bois, alors que j’aurais tout donné pour dormir dans une auberge sympa? Plus fondamental encore: pourquoi avais-je autant besoin de l’approbation d’un homme si différent de moi, qui me demandait de changer radicalement? Et moi, est-ce que je m’acceptais telle que j’étais? Tant de questions surgissaient sous les étoiles…

 

 

Apprendre à se respecter

Le lendemain matin, à l’aube, un déclic s’est produit dans ma tête. J’allais rentrer seule à Montréal. «Quoi? Tu abandonnes le combat?» m’a-t-il lancé. Le mot était lâché. Pour lui, nous étions liés pour mener un combat. Alors que moi, j’avais envie d’une relation. Tout devenait clair! Nous avons tenté de nous expliquer, mais en vain. Nos planètes étaient vraiment trop éloignées l’une de l’autre, et j’ai compris que notre relation fonctionnait tant que j’étais le satellite qui gravitait autour de sa passion. Or, l’écologie extrême, ce n’était pas mon truc. Il était temps que je trouve ce qui me faisait vibrer, moi, plutôt que de chercher à quêter l’assentiment d’un homme ou à me transformer pour l’obtenir.

En somme, il était temps que j’apprenne à me connaître et à me respecter. Pour plusieurs, c’est une évidence. Pour moi, c’est devenu une clé, acquise au prix de bien des années d’errance, entre les films russes et les chavirements en kayak…

 

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