Les Québécois ne veulent plus draguer et encore moins séduire: le titre de l’essai de Jean-Sébastien Marsan et Emmanuelle Gril, publié aux Éditions de l’Homme, est franc, direct et provocateur. En somme, il est l’exact opposé du dragueur québécois, tel que décrit par les deux auteurs. L’homme québécois se démarquerait plutôt par son regard fuyant, son verbe maladroit, sa paresse et, surtout, son incroyable et démesurée peur du rejet. À défaut d’offrir des preuves tangibles de leurs théories, les deux auteurs soulèvent d’intéressantes questions.

Ellequébec.com: Comment en êtes-vous arrivés à la conclusion que les Québécois ne veulent plus draguer?

Jean-Sébastien Marsan: L’anecdote de départ remonte au printemps 2006. Des amies européennes d’Emmanuelle nous disaient: «C’est terrible, les Québécois ne nous draguent jamais. En Europe, quand on portait une minijupe, c’était presque l’émeute. À Montréal, personne ne nous remarque.»

EQ.com : Cette idée que le Québécois ne drague pas, ne pourrait-elle pas être un cliché de Françaises exilées qui sont habituées à un autre type de séduction?

Emmanuelle Gril: Il n’y a pas que les Européennes exilées qui se plaignent. Dès que l’on aborde le sujet avec les Québécoises, c’est vraiment le mur des lamentations. Même les «pures laines» se plaignent que les hommes ne prennent pas d’initiative et d’être elles-mêmes forcées de toujours faire les premiers pas.

EQ.com : Pourquoi les Québécois seraient-ils si empotés, selon vous?

J-S. M.: Les Québécois ne sont pas cons, ils savent comment draguer. Les techniques de base, ils les connaissent. Ce n’est pas qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils ne VEULENT plus. Ils refusent de draguer. Ils se mettent dans une position attentiste jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose. Les codes traditionnels de la séduction sont renversés au Québec. Maintenant, ce sont les femmes qui font les premiers pas, parce que les gars ne font rien, ils sont passifs.

 

EQ.com : Ne s’agit-il pas d’une sorte de rééquilibrage, d’une nouvelle manière plus «égalitaire» de draguer?

E.G.: C’est bien que les gens évoluent. La meilleure solution n’est certainement pas que l’on en reste au «degré zéro» de la séduction, comme dans certains pays européens, dont la France, où les hommes sifflent les femmes dans la rue, etc.

Mais le problème, c’est que tout le monde se plaint au Québec. Quand on en parle aux femmes, elles sont vraiment découragées. […] Et, de l’autre côté, on retrouve des hommes qui ne savent plus comment approcher les femmes et qui pensent qu’elles sont hyper exigeantes et qu’elles ont des «listes d’épicerie» épouvantables quand elles «magasinent» un homme.

EQ.com : Dans votre livre, vous faites beaucoup de comparaisons avec la France. Si vous aviez pris en exemple les États-Unis ou le Canada anglais, peut-être que le Québécois aurait fait meilleure figure, non?

J.-S.M.: Pour moi, la France, c’était juste un point de comparaison. Emmanuelle est d’origine française et, d’une certaine manière, mes ancêtres le sont aussi. […] Mais, c’est sûr qu’aux États-Unis et au Canada anglais, les relations hommes-femmes sont assez sobres, les hommes sont assez réservés. En quelque part, nous sommes très britanniques au niveau de la drague, nous, les Québécois.

E.G.: J’ai discuté récemment avec des gens qui ont vécu assez longtemps en Suède et ils m’ont dit que les choses y sont un peu similaires. Les relations entre hommes et femmes sont extrêmement égalitaires. Et on y retrouve le même phénomène qu’ici. À savoir, par exemple, que la galanterie a totalement disparu parce qu’elle est très mal perçue par les femmes.

EQ.com : Vous soulignez aussi que l’attitude de certaines femmes et le féminisme ne sont pas étrangers à l’inaction des hommes sur le plan de la séduction.

J.-S.M.: Les femmes au Québec sont assez spéciales. Elles sont très déterminées, autonomes. Au cours des dernières décennies, elles ont fait beaucoup de chemin et elles contrôlent parfaitement leur environnement. Elles n’ont pas de temps à perdre dans la vie et elles veulent obtenir des résultats rapidement. Cela se manifeste aussi du côté de la drague et les gars sont assez dépassés par ce phénomène.

EQ.com : En même temps, il n’y a pas plus de célibataires aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans. Cela ne montre-t-il pas que les gens se rencontrent et se séduisent aussi souvent que par le passé?

J.-S.M.: La grande différence entre le Québec d’aujourd’hui et le Québec d’il y a 30 ans, c’est la proportion de gens qui vivent seuls. […] C’est un peu comme sur Facebook, où les individus développent des liens qui sont superficiels et qui sont extrêmement souples. On se crée des réseaux qui se font et se défont très rapidement. Alors, oui, c’est facile d’entrer en contact avec des gens, mais, en même temps, c’est angoissant. On est souvent confronté à soi, ramené à sa propre solitude.

EQ.com : Vous formez un couple, qui a fait les premiers pas?

J.-S.M.: Ouf… Comment pourrais-je expliquer?

E.G. : C’était un concours de circonstances. (Rire) Vous voulez savoir si Jean-Sébastien est un bon dragueur? La réponse, c’est non! C’est un pitoyable dragueur!