Jeudi soir, assise à la terrasse d’un bar du Plateau-Mont-Royal, je profite de quelques rayons de soleil en sirotant un mojito. C’est une des dernières belles journées d’automne, et la faune montréalaise se presse pour en profiter. «Ça va être une bonne soirée!» s’exclame Valérie, emballée, qui arrive tout droit de la librairie où elle travaille. J’ai donné rendez-vous à trois copines, trentenaires et célibataires, en quête d’amour. Depuis des mois, voire des années, elles cherchent l’homme idéal autant dans les cinq à sept qu’à l’épicerie, dans les cours de yoga ou de tennis.

Nadine, professeure dans une école primaire, salue un ex d’un signe discret de la main pendant qu’Ève, assistante de production sur des plateaux de tournage, fait un sourire au grand rouquin planté devant le bar. «J’ai un faible pour les roux», confie-t-elle en riant. Le soleil disparaît tranquillement, le temps se refroidit, mais l’ambiance se réchauffe. Les filles repoussent quelques avances des gars des tables voisines tout en me détaillant la liste de leurs critères.

«Il doit absolument être plus grand que moi», explique Ève. Toutes trois hochent la tête, comme si c’était l’évidence même. «J’aime quand ils ont un petit regard mélancolique», ajoute Valérie. «Il faut qu’il ait confiance en lui, mais il ne doit pas être prétentieux», renchérit Ève, qui a récemment mis fin à une relation d’un an et demi pour vivre une passion passagère.

Si la journaliste californienne Lori Gottlieb pouvait donner un conseil à mes trois copines, il se résumerait ainsi: «Ne soyez pas si difficiles!» La jeune quarantaine, mère d’un enfant qu’elle a choisi d’avoir seule, cette éternelle célibataire publiera en février Marry Him: the Case for Settling for Mr. Good Enough.

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Une chance inouïe?

«Aujourd’hui les femmes ont une chance inouïe», me raconte-t-elle avec entrain au bout du fil. «Elles n’ont plus, comme celles de la génération de ma mère, à faire de compromis par rapport à leurs rêves. Elles peuvent poursuivre leurs études et choisir une carrière qui les emballe. Elles peuvent aussi fréquenter plusieurs hommes et attendre de trouver le bon partenaire plutôt que de se marier avec le voisin d’à côté.»

Cette "chance inouïe" a toutefois des effets pervers, croit Lori Gottlieb. «À force d’être trop gourmandes, on laisse des occasions nous passer sous le nez.»

Plus jeune, Lori a mis fin à des relations pour les meilleures et les pires raisons. Elle a quitté un chum parce qu’il transpirait trop, un autre parce qu’il n’avait pas le sens de l’aventure. «Je me suis toujours dit que je trouverais mieux, que je finirais par avoir des papillons dans le ventre. Arrivée à la fin de la trentaine, j’ai décidé d’avoir un enfant toute seule, en me disant que l’amour viendrait ensuite. Pourtant, je suis toujours célibataire. Et mes copines ont beau se plaindre de leur mari, il n’y en a pas une qui changerait de place avec moi.»

 

 

Comme au cinéma

Jocelyne Bounader, psychologue spécialisée en relations conjugales, voit souvent atterrir sur son divan des femmes qui nourrissent des attentes irréalistes envers leur chum. «Dès qu’il y a quelque chose qui cloche, elles ont tendance à concentrer leur attention sur le bobo plutôt que de regarder l’ensemble de la relation», note-t-elle.

Jules ne partage pas mon goût pour la lecture ou le cinéma? C’est qu’il n’est pas assez intellectuel! Qu’importe si on a d’autres intérêts communs comme la randonnée ou le kayak de mer. Paul consacre ses jeudis soirs à ses amis? Il devrait avoir envie de passer tout son temps avec moi! Gérard ne cuisine pas? Je ne vais quand même pas me taper toute la popote!

Les jeunes professionnelles à qui tout réussit seraient particulièrement intransigeantes. «Elles sont tellement sévères envers elles-mêmes! constate Jocelyne Bounader. Ce n’est pas surprenant qu’elles soient tout aussi exigeantes envers les hommes qu’elles fréquentent.»

Le culte de la perfection n’est pas seul en cause. La montée en puissance de l’individualisme le serait aussi. «Quelques femmes, comme certains hommes d’ailleurs, ont l’impression qu’elles n’ont besoin de personne pour être heureuses, dit la psychologue. Du coup, elles sont moins prêtes à faire des compromis.»

Le sociologue Michel Dorais, professeur à l’Université Laval, montre aussi du doigt le cinéma et les bons vieux romans Harlequin. «Ce qui nous est présenté comme de l’amour est totalement déconnecté de la réalité, soupire-t-il. Il est question d’attirance, de passion… soi-disant durable. Mais le désir et l’amour ont des dynamiques complètement opposées. Le désir est basé sur le rêve; il a besoin de privation, de frustration. On a l’impression qu’on serait bien avec l’autre. En amour, on apprend à connaître l’autre et à l’accepter avec ses défauts.»       

Lori Gottlieb va dans le même sens. Dans son bouquin, elle décortique des émissions télévisées comme Friends, qui a fait un tabac aux États-Unis, et dans le monde entier d’ailleurs. Dans le tout premier épisode, Rachel quitte son fiancé, Barry, un orthodontiste à qui elle n’a rien à reprocher, outre le fait d’être ennuyeux. Elle consacre les 10 années suivantes à chercher la passion… et à collectionner les échecs amoureux. Carrie Bradshaw, l’héroïne de Sex and the City, tombe dans le même panneau. Elle lève le nez sur Aidan, fidèle et attentionné, lui préférant un Mr. Big plus flamboyant, mais ô combien égocentrique! «Carrie et Rachel rejettent des hommes gentils et dévoués pour courir après un rêve impossible», résume l’auteure.

Dans son cabinet, Jocelyne Bounader ramasse les pots cassés à cause de ces fantasmes. «Je vois des femmes – plus souvent que des hommes – qui mettent fin à une relation parce que la passion n’y est plus. Elles ont l’impression que, si elles restaient, elles seraient malhonnêtes envers elles-mêmes et leur conjoint.»

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Le couple au masculin

Les hommes auraient-ils le bonheur plus facile lorsqu’il est question de relations conjugales? Mathieu-Robert Sauvé, journaliste dans la jeune quarantaine, deux fois divorcé et auteur du livre Échecs et mâles, jure que oui. «Les femmes nous trouvent merveilleux pendant quelques semaines, quelques mois. Ensuite, elles se mettent en tête de nous changer, parce qu’il y a un trait de notre personnalité qui leur porte sur les nerfs ou parce que notre partie de hockey hebdomadaire avec les gars ne cadre pas dans leur horaire.»

Lorsqu’il regarde les relations qui s’écroulent autour de lui, Mathieu-Robert constate que ce sont presque toujours les femmes qui laissent les hommes. «Elles ne quittent pas leur chum pour quelqu’un d’autre. Elles ressentent une vague insatisfaction et elles ont l’impression qu’elles seront mieux toutes seules.»

Yvon Dallaire, psychologue qui s’intéresse aux relations de couple, croit que les hommes ont plus de facilité que les femmes à compartimenter leur vie. «Ce que leur relation ne leur apporte pas, ils le trouvent en jouant au golf avec des collègues le weekend ou en partant à la pêche avec des amis. Pourvu que ça marche bien au lit, ils sont assez satisfaits de leur couple. Les filles, elles, s’attendent davantage à ce que leur relation comble tous leurs besoins.»

Est-ce bien de flexibilité que les hommes font preuve… ou d’hypocrisie? «S’ils sont en couple depuis un moment et que ça ne tourne pas rond, les hommes ont plutôt tendance à prendre une maîtresse qu’à mettre fin à la relation», admet Yvon Dallaire. Le directeur général du Réseau Hommes Québec, Sylvain d’Auteuil, a publié en 2005 un roman caustique sur les relations hommes-femmes, intitulé Brad Pitt ou mourir. «Après une longue relation, je me suis retrouvé célibataire dans la trentaine et j’ai commencé à fréquenter les bars. J’en ai bavé un coup, et ça m’a inspiré un livre.»

Avant de se lancer dans l’écriture, question de mieux maîtriser son sujet, Sylvain d’Auteuil a interviewé des dizaines de célibataires, hommes et femmes, à la recherche de l’amour. «La liste d’exigences des femmes était plus longue, et de loin, que celle des gars. J’ai aussi remarqué que leurs critères étaient parfois contradictoires. Par exemple, elles voulaient un homme habile de ses mains, qui pourrait réparer la voiture au besoin, mais pas un bricoleur qui passerait des heures sous le capot. Elles désiraient qu’un homme soit accessible sur le plan émotif, mais elles ne voulaient pas le voir pleurer.»         

Sylvain d’Auteuil croit que les femmes ont du mal à choisir entre l’ancien modèle, celui de l’homme traditionnel incarné par leur père, et l’homme rose, tout nouveau tout beau. «Elles pigent librement dans les deux modèles pour construire leur vision de l’homme idéal.»

L’auteur a encaissé quelques rejets pendant ses aventures dans le monde du célibat. Parce que sa situation financière n’était pas au beau fixe notamment, ou parce qu’il n’était pas assez manuel… Il a finalement rencontré «la bonne», la femme avec qui il partage maintenant sa vie. «Elle m’a sorti sa liste des 100 caractéristiques du partenaire idéal au cours d’une des premières soirées qu’on a passées ensemble. Heureusement, on était encore dans la phase euphorique. Elle m’a accordé 98,5 %. Aujourd’hui, je ne suis pas certain que je passerais le cap du 60 %!» dit-il en riant.

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Horloge biologique

Lori Gottlieb croit que la plus grande différence entre les hommes et les femmes en quête d’amour est également la plus cruelle. Plus les années passent, plus l’éventail de bons candidats se réduit pour les filles. Ce qui est beaucoup moins vrai pour les gars, qui peuvent plus facilement piger dans le bassin des jeunes célibataires.

«Je suis maintenant à l’âge où ce sont les hommes qui me dédaignent, explique-t-elle. Mes rides trahissent mon âge. Et ils me trouvent moins intéressante, maintenant que je passe mes soirées à donner le bain et à changer des couches. Les beaux partis ne font pas la file pour s’inviter à la fête!»

Elle aurait compris trop tard les conséquences de son intransigeance envers les prétendants potentiels. «Dans la vingtaine, on se croit immortelle. On pense qu’on sera jeune et séduisante à jamais. On s’amuse. Dans la trentaine, on sait ce qu’on  veut. On devient plus rigide. C’est seulement dans la quarantaine que les femmes s’assouplissent et comprennent ce qu’elles ont laissé filer.»

J’ai beau expliquer à mes copines célibataires les arguments de Lori Gottlieb, elles n’en ont rien à cirer. Ça les amuse, au plus. «Je ne vais quand même pas me contenter d’un gars avec qui ça ne clique pas!» déclare Valérie.

Lori Gottlieb ne saurait la condamner. Elle-même a connu quelques relations infructueuses dernièrement, avec un veuf qui n’avait pas surmonté son deuil, un acteur raté, un ingénieur peu doué socialement. «Je suis prête à faire des compromis, mais il y a un seuil sous lequel je ne descendrai pas, confie l’auteure. J’ai un enfant à qui je dois penser. Je veux un homme qui pourra lui servir de modèle.»

 

 

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