Aujourd’hui est une journée chargée pour Marcel Nuss. Une équipe de télévision a transformé sa maison en plateau de tournage pour y filmer un documentaire sur sa vie et son couple. Ce Français de 58 ans, qui est cloué à un fauteuil roulant depuis l’enfance à cause d’une maladie congénitale, est bien connu des médias. Cofondateur du Collectif Handicaps et Sexualités (CHS) et de l’association CH(s)OSE, et auteur du livre Je veux faire l’amour, il milite depuis des années pour faire reconnaître en France le droit des personnes handicapées à une vie sexuelle.

Bien qu’il ait été marié pendant 23 ans et qu’il ait deux enfants, Marcel Nuss comprend la frustration que peuvent éprouver les personnes handicapées contraintes à l’abstinence. «Plus jeune, j’ai été hospitalisé pendant trois ans dans un service de réanimation après avoir fait un arrêt respiratoire. J’avais 22 ans, soit à peu près le même âge que les infirmières qui s’occupaient de moi. On échangeait des confidences. Par contre, lorsque j’abordais mes interrogations sur la vie affective et sexuelle, elles se défilaient toujours. C’était tabou. Un jour, j’ai pété les plombs. J’ai appelé une d’entre elles sous un prétexte quelconque et je l’ai amenée à retirer le drap alors que j’avais une érection. Je voulais qu’elle voie que j’étais normal. Je n’oublierai jamais la honte que j’ai alors ressentie.»

Le poète américain Mark O’Brien, paralysé après avoir contracté la polio, a souffert de cette même détresse. Le récent film The Sessions relate d’ailleurs comment il a perdu sa virginité à l’âge de 38 ans grâce à l’assistante sexuelle Cheryl Cohen-Green, brillamment interprétée par Helen Hunt. Ce long métrage, qui a valu à l’actrice une nomination à la dernière soirée des Oscars, est aussi parvenu à mettre en lumière un métier méconnu: celui d’assistante sexuelle.

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Pratiquée légalement par une poignée de femmes (mais aussi par des hommes) dans quelques États américains et australiens, ainsi qu’en Suisse, au Danemark, en Allemagne, en Autriche, en Israël, en Angleterre et aux Pays-Bas, cette profession consiste à prodiguer des massages érotiques ou à avoir des relations complètes avec des handicapés, qui autrement ne peuvent vivre leur sexualité. L’assistance sexuelle demeure toutefois très controversée et continue de soulever de nombreuses questions éthiques, idéologiques et juridiques. Pourtant, des militants comme Marcel Nuss sont d’avis que ces thérapeutes du sexe peuvent faire la différence dans la vie de personnes handicapées.

 «Je n’ai pas de petite amie avec laquelle je peux partager mes sentiments. Rachel me fait me sentir comme si j’avais une petite amie», confie Mark Manitta, un Australien atteint de paralysie cérébrale. Ses paroles sont tirées de Scarlet Road, un documentaire réalisé en 2011 par Catherine Scott, qui s’intéresse au travail de Rachel Wotton. Cette prostituée qui exerce son métier depuis 1994 à Sydney en est venue à se spécialiser dans les services offerts aux handicapés il y a une dizaine d’années.

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«Mon rôle est de permettre à mes clients de découvrir et d’explorer le potentiel sexuel de leur corps dans un cadre respectueux et rassurant. Je fais disparaître leur crainte et leur embarras pour qu’ils puissent apprivoiser leur sexualité», affirme Rachel Wotton. Cette travailleuse du sexe possède un diplôme universitaire en psychologie et croit que l’intimité sexuelle est une étape essentielle dans la construction de l’estime de soi. Plusieurs de ses patients lui sont d’ailleurs référés par…leur thérapeute.

Sa clientèle n’est toutefois pas composée exclusivement de personnes handicapées. Peur de l’intimité ou encore éjaculation précoce sont autant de raisons pour lesquelles des hommes la consultent. «Il peut s’agir d’un veuf qui souffre de solitude ou encore d’un quadragénaire qui est toujours puceau. En tant que travailleuse du sexe, l’âge et la condition sociale de mes clients m’importent peu. Je ne fais aucune discrimination.»

Fervente défenderesse des droits des travailleurs du sexe, Rachel consacre une grande partie de son temps à sensibiliser l’opinion publique sur sa profession. Elle est aussi cofondatrice de Touching Base, une organisation qui a pour mission de mettre en contact des handicapés et des assistants sexuels.

Catherine Agthe Diserens, une sexologue suisse qui a travaillé pendant une douzaine d’années dans des institutions pour handicapés, croit également que l’assistance sexuelle est un service thérapeutique légitime: «Quand on n’a pas de bras pour se masturber, pas de possibilité de mouvement ou qu’on souffre de spasmes, comment fait-on pour se donner du plaisir? Il n’y a pas d’autres possibilités que d’avoir l’aide de quelqu’un.»

En 2008, l’association qu’elle préside, SExualité et Handicaps Pluriels (SEHP), a mis sur pied une formation de 300 heures, destinée à ceux et celles qui désireraient devenir assistants sexuels. Outre un volet «pratique» pendant lequelles étudiants apprennent à toucher une autre personne et à être touchés, la formation aborde des questions juridiques auxquelles ils pourraient faire face, ainsi que des notions de psychologie. «Des visites dans des institutions pour personnes handicapées sont également organisées afin qu’ils comprennent mieux la réalité de leurs futurs patients», poursuit Catherine Agthe Diserens. La douzaine de candidats qui ont pu, à ce jour, suivre ce cours ont été triés sur le volet, en se soumettant tout d’abord à une série d’entrevues destinées à évaluer leur personnalité et leurs motivations.

Parmi eux, on compte un musicien, une hygiéniste dentaire et un infirmier. «Mettre son corps en jeu implique des sentiments et des émotions de part et d’autre, soutient-elle. C’est un travail très délicat qui requiert une formation.»

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Zoe Vourantoni, une sexologue clinicienne québécoise qui travaille depuis plusieurs années auprès des personnes handicapées au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau, à Montréal, croit que l’assistance sexuelle est une solution à double tranchant: «Dans ma pratique, je vois à quel point une simple main sur l’épaule peut faire du bien à quelqu’un qui n’a pas de contact physique en dehors du moment où on fait sa toilette. Toutefois, solliciter les services de ce genre auprès de professionnels peut être bouleversant pour ces personnes, car elles recherchent avant tout une relation affective. Or, c’est quelque chose qu’une assistante sexuelle ne pourra jamais leur offrir.»

Les détracteurs de l’assistance sexuelle argüent aussi que cette pratique laisse la porte ouverte aux abus envers des personnes qui sont vulnérables, particulièrement lorsque l’assistant est un homme. Dans les faits, bien qu’il y ait des assistants sexuels masculins, ce sont surtout des femmes qui exercent ce métier. Et pour cause: 95 % des demandes proviendraient d’hommes qui désirent avoir une relation avec une femme, selon Catherine Agthe Diserens.

Par ailleurs, plusieurs considèrent l’assistance sexuelle comme une forme de prostitution et, par conséquent, d’exploitation, même si les clients sont handicapés. Et il faut dire que, d’un point de vue juridique, cette profession est considérée comme de la prostitution. Voilà pourquoi elle n’est pas pratiquée dans des pays comme le Canada ou la France, où le proxénétisme est illégal.

«Au Canada, l’assistance sexuelle a une très mauvaise réputation parce qu’on l’associe à la prostitution», confirme Alex McKay, chercheur au Conseil d’information et d’éducation sexuelle du Canada, un organisme à but non lucratif dont la mission est de promouvoir l’éducation sexuelle. Même son de cloche chez Linda Gauthier, présidente du Regroupement activiste pour l’inclusion Québec (RAPLIQ), un organisme qui défend les droits des handicapés. «Les gens trouvent ça à la limite vicieux et dégueulasse que des handicapés payent pour avoir des relations sexuelles», fait-elle observer, déplorant que la sexualité de ceux-ci soit encore taboue dans notre société.

Pourtant, faute de solutions de rechange, les personnes handicapées qui ne peuvent pas vivre leur sexualité de façon autonome n’ont d’autre choix que de se tourner vers les salons de massage et les prostituées… à moins de demeurer abstinents. Et, bien souvent, c’est au personnel des institutions et aux familles que revient l’obligation de composer avec le «problème». «En parlant à des parents de personnes handicapées, j’ai remarqué qu’il y a un intérêt pour l’assistance sexuelle», confie d’ailleurs Alex McKay. Linda Gauthier, atteinte de sclérose en plaques, affirme sans complexe que, si l’assistance sexuelle était légale au Canada, elle n’hésiterait pas à y faire appel si elle en ressentait le besoin: «La sexualité est un besoin essentiel dont l’absence peut mener au suicide.»

Quant à Marcel Nuss, il est convaincu que l’assistance sexuelle peut faire des miracles. «Elle existe depuis 30 ans aux Pays-Bas et on voit les bienfaits psychologiques qu’elle apporte à ceux qui y ont recours. Ça leur permet de reprendre contact avec leur corps et de gagner confiance en eux», plaide-t-il, lui qui espère qu’un jour cette pratique sera reconnue en France. D’ici là, des films comme Scarlet Roadet et The Sessions contribuent certainement à faire avancer sa cause… ou, du moins, à relancer le débat.

 

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