La louve

Longtemps je suis allé chercher mon courrier en bobettes. C’était une opération risquée. Je me demandais toujours si la grosse voisine me voyait. En examinant les précieuses lettres dans la sécurité de mon logis, je me sentais comme Jack Bauer en mission. On se valorise comme on peut.

Ce jour-là, parmi le déluge de comptes et de pubs de pizzéria, il y avait une bonne nouvelle: après deux ans d’attente, mon fils était enfin accepté dans un CPE. Pas que la garderie qu’il fréquentait était mauvaise, mais 35 $ par jour, ça égorgeait mon budget de récent divorcé. Ça faisait deux mois que j’habitais mon nouveau 4 et demie, et le moignon de la rupture n’était pas encore cautérisé. Pas le temps d’être malheureux: trop occupé à m’assurer que mon gars ne soit pas emporté dans le tourbillon de la bêtise parentale.

Le CPE Les petits loups était super. L’éducatrice des 3-4 ans était dynamique, intelligente, créative et totalement magnifique. Tania. Une Sri- Lankaise de 25 ans, avec des yeux de manga et un sourire à désarmer un taliban. Un jour, j’ai aperçu son string alors qu’elle aidait un petit à mettre ses bottes: je rêve encore à cette couleuvre de dentelle s’enroulant autour de ses hanches. Pas surprenant qu’aux Petits loups, c’étaient toujours les pères qui venaient chercher les enfants.

Un vendredi soir que je n’avais pas mon fils, Vincent m’a texté: «À soir, je te sors le gros.» Plutôt que de me morfondre à regarder Call TV, j’ai accepté. Évidemment, on a abouti aux danseuses. À ma grande surprise, l’endroit était agréable, avec un effort de décoration vaguement orientale. Une clientèle comme on l’imagine. Des hommes d’affaires parlant trop fort, des étudiants en pâmoison, un clone de Bukowski et un beau type en chaise roulante, sur lequel était assise une grande Noire qui l’embrassait dans le cou. Quant à moi, j’étais un handicapé émotionnel. Je me saoulais pour oublier le cratère d’une relation de sept ans, à laquelle avait survécu un fils majestueux.

 Irréelles, les filles irradiaient sous les black lights. Des corps fuselés, ciselés, bronzés, tatoués. Des formule 1 tout droit sorties de l’usine. Sur la scène, les sirènes défilaient une à une. Elles avaient le temps d’une chanson pour capter les regards, appâter un pigeon et le plumer dans l’isoloir.

Vince était parti avec une blonde dont la camisole était gonflée comme une voile dans le vent du large. Les vodkas canneberge commençaient à m’embrouiller l’esprit. J’arrivais presque à oublier mon ex. Je m’attardais aux prouesses d’une dénommée Shéhérazade, qui ne portait qu’un niqab et un tanga blancs.

Son numéro amalgamait les déhanchements du baladi aux mouvements de mains des danses indiennes. Ses longs cheveux noirs ondoyaient dans son dos en caressant son cul de Bombay. Une cambrure tellement prononcée que j’aurais pu y poser mon verre. Elle aurait fait bander Farinelli.

Tout de suite après sa performance, la fille est venue s’asseoir à côté de moi. À travers son voile, elle me fixait de ses grands yeux noirs. Merde, Tania! Mon érection s’est résorbée instantanément. L’éducatrice de mon fils s’est dévoilée en m’offrant son plus beau sourire. Elle m’a embrassé les joues en riant, visiblement contente de me voir. Déconcerté, je lui ai offert un scotch en la félicitant pour son beau programme. Tania élevait des louveteaux à la garderie et payait son bac en éducation grâce à la libido des gros méchants loups. Vesta le jour, Vénus la nuit: la déesse idéale.

Elle a eu la décence de ne pas me convier dans l’isoloir. Avec regret, nous avons convenu qu’elle pouvait s’occuper du fiston ou du papa, mais pas des deux. De mon côté, j’ai promis de ne pas révéler son deuxième emploi au comité de parents.

 

Biz, du groupe Loco Locass, a publié son premier roman cette année: Dérives (Leméac).

 

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