Adolescente, je savais déjà comment je célèbrerais mon mariage. Et j’ai toujours été convaincue que ce type de party, je n’en voudrais plus à 40 ans. C’était un trip de jeunesse, pas une affaire de «matante». Du coup, plus la trentaine approchait, plus je sentais l’urgence de m’offrir ces réjouissances dont j’avais si souvent rêvé. Bien entendu, lorsque j’imaginais les détails de mes noces, j’avais un époux à mes côtés. Dans la réalité, à l’aube de mes 30 ans, j’étais célibataire depuis deux ans. Pas question que je m’empêche de me marier pour autant! L’homme de ma vie n’avait pas encore croisé mon chemin? Tant pis!

Si je me suis épousée moi-même, ce n’est pas parce que je suis une féministe extrémiste qui refuse d’avoir besoin d’un homme. Je pense seulement qu’avoir un amoureux n’est pas absolument nécessaire. Et surtout, je ne veux pas m’empêcher de faire les choses que je désire parce que je n’ai pas de compagnon. Je me suis mariée en solo et je ne renoncerai pas à avoir des enfants parce que je n’ai pas encore trouvé l’âme soeur. Je les adopterai! Je sais que je ne suis pas la seule à m’être unie à moi-même. D’autres femmes l’ont fait, une à Taiwan et une autre en Hollande. Comme moi, elles ont décidé de souligner leur célibat en robe blanche à l’approche de leurs 30 ans. Quand j’ai appris ça, je n’ai pas été surprise.

 

De nos jours, il n’y a plus autant de rituels qu’avant. Depuis que la religion ne fait plus partie du quotidien, on a moins d’occasions de se rencontrer. Il n’y a plus de baptêmes, de premières communions, de mariages. On ne se voit qu’aux funérailles! On a perdu la tradition de mettre «nos habits du dimanche» et de célébrer un évènement qui marque une étape importante de la vie. Avoir 30 ans, c’est lourd de sens… et c’est angoissant. On commence à penser à fonder une famille, à acquérir une propriété, bref, à devenir plus stable. La maturité n’est plus un concept abstrait comme à 20 ans. Moi, six mois avant de fêter mon anniversaire, j’ai décidé de faire ça en grand!

Pour tout dire, une autre raison m’a poussée à me marier seule. Deux ans auparavant, mon père avait tenté de se suicider en avalant une tonne de médicaments. Il a survécu, mais non sans séquelles: il est resté plongé dans le coma pendant un mois et n’est jamais redevenu tout à fait lui-même. C’était un être sociable, qui aimait parler et faire rire. Depuis, il ne parle plus et ne semble plus éprouver d’émotions.

Lui et moi avions pourtant toujours été très proches l’un de l’autre, nous parlions beaucoup et longtemps. Qu’il ait décidé de mettre fin à ses jours m’a fait l’effet d’une bombe. Je crois que se suicider, c’est le plus gros «doigt d’honneur» qu’on puisse adresser aux gens qui nous entourent et qui nous aiment. C’est comme s’il m’avait dit que je n’étais pas importante pour lui. Quelle déception j’ai ressentie!

Et ce n’est pas tout! Mon père se trouvait aux soins intensifs depuis trois semaines, quand mon amoureux, mon conjoint depuis trois ans, m’a quittée. Nous habitions ensemble, et notre relation allait bien. Enfin, moi, j’avais l’impression que tout allait bien. Or, j’ai réalisé après coup que, durant toute la période où nous sommes sortis ensemble, tout tournait autour de lui. Et que là, du jour au lendemain, je ne lui accordais plus toute mon attention. Je restais constamment au chevet de mon père et, lorsque je revenais à la maison, je pleurais sans arrêt. J’avais besoin de mon chum, de sa présence, de son écoute, de son soutien moral. Mais c’était trop lui demander. Il n’aimait pas me voir déprimée… Alors il est parti.

Je me suis mariée deux ans après avoir «perdu» les deux hommes de ma vie. Quand j’y repense, je me rends compte que cette cérémonie était une façon de ne penser qu’à moi, une manière de me faire plaisir, enfin, et de laisser la noirceur derrière moi. Mon mariage, c’était mon retour à la vie.

Les préparatifs ont été un réel plaisir. J’ai loué une salle, un bar sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. J’ai fabriqué les faire-part, choisi un bouquet de fleurs, acheté une fontaine en chocolat, commandé des hors-d’oeuvre et mis des barils de bière à la disposition des invités. Et je me suis fait confectionner une robe sur mesure. Cette robe, je l’imaginais dans les moindres détails depuis que j’avais 16 ans! Avec ses montagnes de tulle blanc, elle ressemblait à la jupe vaporeuse d’une ballerine. À mes pieds, je portais des baskets blanches. Je n’avais rien d’une mariée classique! En fait, j’aurais été mal à l’aise de m’épouser en solo dans une robe traditionnelle avec une traîne. Cela aurait peut-être eu quelque chose de pathétique. En me voyant assortir mes froufrous de chaussures sport, les gens ont tout de suite compris que j’avais organisé cette réception pour m’amuser et que je ne me prenais pas au sérieux.

J’ai invité plus d’une centaine de personnes. Principalement des amis – dont certains habitaient à l’étranger et sont venus en avion à mes frais – ainsi que des membres de ma famille. Ai-je passé pour une folle? En général, on me trouve un peu excentrique. Alors personne n’a été surpris que je prépare cette soirée extravagante, je crois. Je suis une artiste, et les gens voyaient mon geste comme une sorte de performance. Je n’ai jamais senti que quelqu’un trouvait cela ridicule, ni désespéré. Au contraire, on me disait qu’il s’agissait d’une idée sympathique et drôle. Mieux, que je méritais amplement cette fiesta en mon propre honneur.

J’ai eu un mariage extraordinaire! Tous les gens que j’y avais conviés y ont assisté. C’était beau de les voir habillés avec tant d’élégance, juste pour moi. J’ai prononcé un discours, puis j’ai lancé mon bouquet dans la foule. Plusieurs de mes amis artistes sont montés sur scène pour chanter. J’ai ensuite donné moi-même un petit spectacle, et à minuit, j’ai laissé la place aux D.J. Nous avons dansé toute la nuit. Je n’avais pas de bague, pas de mari, et je n’ai pas fait de voyage de noces, mais mon mariage demeure à ce jour le plus beau party de toute ma vie!

Cela fait trois ans que je suis mariée et cinq ans que je suis célibataire. Je sais aujourd’hui que subir une rupture amoureuse au moment même où mon père émergeait de sa tentative de suicide m’a beaucoup marquée. Nul doute que l’engagement amoureux m’effraie depuis. En fait, j’ai surtout peur de moi. Je n’ai plus confiance en mes propres choix. Je me demande comment j’ai pu entretenir une relation avec un être si centré sur lui-même, choisir d’être avec un homme qui m’a abandonnée quand j’avais le plus besoin de lui.

Je m’efforce de voir cette épreuve comme une leçon. J’ai appris que prioriser les projets des autres et négliger mes propres besoins n’est pas du tout bon pour moi. Maintenant, chaque fois que je rencontre quelqu’un, je compte le nombre de questions qu’il me pose à mon sujet. Autrement dit, je m’assure qu’il s’intéresse à moi. Je veux un homme généreux et sensible, qui m’accompagnera pour le meilleur… et pour le pire. Si un jour je retombe amoureuse, je ne sais même pas si j’aurai envie d’aller devant l’autel. Une chose est sûre cependant, je n’organiserai jamais une grande fête comme celle de mes 30 ans. Je choisirai une célébration intime, à Las Vegas peut-être. J’ai déjà eu le mariage dont je rêvais, je risquerais d’être déçue si j’essayais de le reproduire. La bonne nouvelle? Je pourrai me marier une deuxième fois sans même avoir besoin de divorcer. N’est-ce pas merveilleux?

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Un journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Martina Djogo, ELLE QUÉBEC, 2001, rue University, bureau 900, Montréal (Québec) H3A 2A6. Courriel: [email protected]

 

 

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