J’ai fait la connaissance de Marie-Pier en clavardant sur Internet il y a maintenant un an. Elle m’est apparue comme un vent de fraîcheur dans cet univers où la drague et les conversations à saveur sexuelle sont monnaie courante. Chaque fois que je «chattais» avec elle, nos conversations étaient simples, amicales, intéressantes et humaines, ce qui me plaisait vraiment. Nous avons échangé nos numéros de téléphone pour pouvoir nous parler de vive voix. Nous jasions pendant des heures, de tout et de rien. J’avais l’impression de la connaître depuis 10 ans!

Nos rendez-vous téléphoniques sont rapidement devenus plus fréquents. Tous les jours, après le travail, je l’appelais. J’avais hâte de prendre de ses nouvelles. Je constatais que je commençais à m’attacher à elle et je trouvais ça très étrange. Comment pouvais-je me sentir si proche de quelqu’un que je n’avais jamais vu? J’hésitais aussi beaucoup à la rencontrer. À deux reprises, je lui avais fait faux bond alors que nous nous étions donné rendez-vous. J’avais peur de ce premier tête-à-tête et, surtout, de mes sentiments. Car il fallait bien que je me l’avoue: chaque fois que j’entendais sa voix, j’avais des papillons dans l’estomac.

Un jour, je me suis décidée. J’ai spontanément appelé Marie-Pier pour lui dire que je voulais la voir, là, maintenant. Elle a accepté. En moins d’une demi-heure, elle est arrivée, sourire aux lèvres. C’est une fille très masculine qui s’est présentée à moi. Ses vêtements, sa démarche, même ses traits étaient masculins, à tel point que j’avais du mal à l’appeler par son prénom. Je trouvais que ça ne lui allait pas du tout.

Presque instantanément, la complicité qui s’était installée entre nous au téléphone a refait surface. Nous avons passé la journée à parler, à marcher, à manger et à rire, comme deux amies de longue date. C’était vraiment agréable. J’étais séduite par ses yeux bleus et son sourire magnifique. Quelques jours plus tard, nous nous sommes revues. La soirée a débuté par un souper au resto et s’est terminée dans un bar. C’était magique. La complicité entre Marie- Pier et moi atteignait les plus hauts sommets. Cette nuit-là, avant de nous quitter, nous nous sommes embrassées. 

Le lendemain matin, au réveil, j’étais bouleversée. La soirée avait été inoubliable, mais il y avait ce long baiser qui brouillait les cartes. L’alcool m’avait sans doute fait perdre mes inhibitions. Pourtant, je savais bien que ce baiser, je l’avais voulu, désiré et même provoqué! Nous avons laissé s’écouler une semaine avant de nous revoir. J’avais besoin de réfléchir. Avant Marie-Pier, j’avais fréquenté deux autres filles, très brièvement. Chaque fois, je m’étais sentie mal à l’aise, il me manquait quelque chose de masculin. J’en ai conclu que je n’étais pas lesbienne, tout simplement. Pourtant, avec Marie-Pier, je n’éprouvais pas ce malaise, et ça me perturbait. Plus les jours passaient, plus je m’ennuyais d’elle. Nous nous sommes revues.

J’appréhendais nos retrouvailles. Je craignais que l’incident du baiser ait brisé quelque chose entre nous. J’ai été soulagée quand j’ai constaté que je m’en faisais pour rien. Notre complicité demeurait intacte, et notre attirance, bien réelle… Nous avons d’ailleurs eu notre première relation sexuelle ce soir-là. À ma grande surprise, Marie-Pier ne voulait pas que je la touche. Elle m’a candidement avoué qu’elle n’était pas bien dans son corps, qu’elle n’aimait pas se faire caresser, car ça la rendait mal à l’aise. Pour être honnête, moi aussi, j’éprouvais un malaise. J’étais devant la fille la plus masculine qu’il m’ait été donné de rencontrer. Quand je la touchais, j’avais peine à croire qu’il s’agissait d’une femme…

J’ai alors commencé à me douter de quelque chose. Je savais, pour l’avoir lu quelque part, que les transsexuels ont énormément de difficulté avec leur corps, qu’ils éprouvent souvent du dégoût pour leur sexe. Sans compter que Marie-Pier ne dégageait rien de féminin. Je ne savais pas comment m’y prendre pour lui en parler; j’avais peur de la brusquer. J’ai commencé par lui demander si elle ne me cachait pas quelque chose. Sa réaction a été immédiate: elle s’est vidé le coeur. Elle m’a montré des photos d’elle quand elle était petite, et j’ai tout compris. Je croyais que c’était son frère!

Marie-Pier a toujours été un petit garçon manqué. Elle est née dans le corps d’une fille mais, au plus profond d’elle-même, elle se sent comme un garçon. Elle a ensuite sorti toute la paperasse témoignant des démarches qu’elle avait entreprises pour changer d’identité et de sexe. Plusieurs médecins, psychologues et psychiatres confirmaient le diagnostic; elle était bel et bien transsexuelle et elle pouvait, lorsqu’elle le désirerait, amorcer sa transformation. Son changement de nom avait été accepté. Elle m’a
donc demandé de l’appeler Frédérick et de parler d’elle au masculin, ce qui n’a pas été très difficile puisque c’est comme ça que je l’avais toujours perçue.

La transsexualité de Frédérick ne m’a pas effrayée. Je n’ai malheureusement pas rencontré la même ouverture autour de moi. Ma mère était morte d’inquiétude: «Dans quoi est-ce que tu t’embarques, Janika? Ça va te nuire; les gens vont te juger!» À la vérité, je ne savais pas du tout où cette histoire allait me mener, mais j’aimais Frédérick, et c’était tout ce qui comptait. Peu importait le jugement des autres. La réticence de mes proches ne m’a pas empêchée de me lancer à corps perdu dans cette aventure peu ordinaire.

Ça fait maintenant un an que je partage ma vie avec Frédérick. Nous venons d’emménager ensemble. Moi qui croyais que cette relation allait être la plus compliquée de ma vie, je constate au contraire qu’elle est d’une simplicité et d’une douceur de tous les instants. Mon amoureux est un compagnon de vie extraordinaire; il est très affectueux, généreux et dévoué. Sexuellement, nous nous épanouissons de plus en plus. Dans la vie quotidienne, c’est fou à quel point nous nous complétons! Lui est manuel et très habile. Il répare ce qui est abîmé, fabrique les objets dont nous avons besoin, rénove et entretient notre appartement. Moi, j’aime bien cuisiner et je m’occupe des tâches ménagères. Je sais, ça peut avoir l’air d’un cliché, mais c’est comme ça et, pour nous, c’est parfait!

Les démarches de Frédérick pour amorcer son changement de sexe avancent à grands pas. Sa transformation, c’est notre projet commun. Ensemble, nous économisons pour les opérations à venir. Frédérick va commencer l’hormonothérapie sous peu. Ça aura des effets sur sa voix, sa pilosité, ses muscles et même son ossature! Je sais qu’il est parfois inquiet… Il a peur des grands bouleversements qui l’attendent. Peur d’avoir mal, de ne plus se reconnaître, de ne pas être un bel homme. Sans compter que c’est un processus irréversible. Ça représente beaucoup d’incertitude, je l’avoue, mais, une chose est certaine, je serai toujours là pour le soutenir.