L’origine du monde 

Simon avait découvert la sensualité dans la chevelure de sa mère. Une crinière sombre, touffue et frisée qu’elle laissait tomber sur ses épaules et dans laquelle il enfouissait sa tête lorsqu’il était triste ou apeuré. Ce sont les parfums qui le troublaient, des odeurs qu’on aurait dites venues directement de la terre ou de la jungle, ou encore d’un monde mystérieux regorgeant de senteurs chaudes et enivrantes, des effluves qui l’étourdissaient plus que celui délicat de sa peau.

Avec les premiers baisers vint l’envie déjà sexuelle probablement de humer la coiffure de la fille. Simon se souvenait de ce tressaillement. Certaines de ses jeunes copines trouvèrent qu’il s’occupait un peu trop de leur chevelure et pas assez de leur langue. La découverte des seins ne modifia pas son comportement, qu’on pourrait qualifier de capillaire. Puis survint l’extase qui transforma sa vie pas encore très sexuelle. En feuilletant un dictionnaire illustré, il découvrit par hasard une reproduction du tableau de Gustave Courbet L’origine du monde. C’est le corps nu d’une femme aux formes généreuses et sensuelles, une femme dont on ne voit pas le visage. Les cuisses qu’on voudrait pétrir sont ouvertes et, c’est le centre du tableau, une énorme toison surplombe le sexe qu’on devine. Une chevelure de sexe drue, sombre, désordonnée, une invitation à poser la tête entre les cuisses douces et dodues, et à enfouir son nez pour humer les origines de la terre. Ce fut la première fois dans la vie de Simon, la seule, que la contemplation d’un tableau provoqua chez lui une érection tenace, dont il parvint à se défaire dans la toilette de la librairie.

Simon avait seize ans et se satisfaisait encore de la caresse par-dessus le slip, conscient vaguement selon l’épaisseur du tissu que quelques poils s’y trouvaient. Mais voilà, il avait découvert que le sexe de la femme possédait une chevelure. Il n’eut de cesse par la suite d’enfouir sa tête dans la chevelure du sexe.

 

Il avait déjà expérimenté plusieurs déceptions «sexuelles». Les chevelures de ses copines avaient de moins en moins de parfums mystérieux et de plus en plus d’odeurs chimiques ou pharmaciennes. Elles l’excitaient de moins en moins, d’autant que c’était, semble-t-il, tout le corps de ses copines qui était blindé contre les odeurs corporelles, comme pour interdire les senteurs sauvages.

Sa recherche de la chevelure du sexe fut aussi désolante. La première culotte enlevée lui permit de découvrir un petit triangle isocèle parfaitement dessiné. Des tout petits poils dont on aurait pu penser qu’ils sortaient de chez le coiffeur tellement ils étaient minutieusement disposés. Simon décida malgré cette triste plasticité d’y plonger son nez avide de senteurs primitives et il huma l’odeur civilisée de la poudre pour bébés Johnson’s. Faut-il préciser que Simon n’eut pas d’érection. Puis il fit connaissance avec la coupe bikini, triangle encore plus maigrichon que le premier, avec cette fois le parfum de noix de coco de la crème solaire car la jeune fille partait le lendemain pour Cuba. Il y eut le trait, comme une moustache inversée, et finalement la nudité totale du sexe. Pas un seul cheveu, un sexe désespérément chauve, aussi invitant qu’une photo sur papier glacé, un sexe chat égyptien, vous savez ces chats sphinx qui ont l’air anorexique.

La vie sexuelle de Simon de même que ses relations amoureuses souffrirent longtemps de sa recherche des origines du monde. Mais Simon n’était pas masochiste et aimait suffisamment les femmes pour comprendre qu’elles préfèrent maintenant le pubis esthétique. Il se résigna lentement à la toison bien coiffée, à son parfum de coiffeur, pour ne pas se priver de la joie de la femme qui conservait dissimulés par ces poils civilisés toute la primitivité et tout le mystère chaud de l’origine du monde.

L’auteur d’Un dimanche à la piscine à Kigali, Gil Courtemanche, vient de publier l’autofiction Je ne veux pas mourir seul (Boréal).

 

 

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