Je revenais tout juste de France. En sortant de l’aéroport, dans l’autobus qui me ramenait à la maison, j’avais ouvert Tinder pour me désennuyer. Match Super Like. Antoine, 35 ans, ébéniste viril, mais qui a peur du sang. Cuuuute. Je me voyais déjà faire ma vie avec lui.

La flexibilité de mon dos l’avait charmé. Sur mon profil, j’avais indiqué — un peu à la blague — que je faisais le pont dans le bain chaque matin, en me douchant. Ça avait frappé son imaginaire. Il devait se dire qu’il aurait avec moi une sexualité Alegría, digne d’un acrobate du Cirque du Soleil, mais sans le justaucorps bariolé de couleurs. Un acrobate nu flambette.

«Donne ton adresse, Simon. Je peux être chez toi dans une heure. On prendra une marche ou on fera autre chose…», qu’il m’avait écrit. Parfait. Sortons du virtuel rapidement pour voir ce qui se passe entre nous dans le réel. Mais sitôt arrivé, pendant que j’épluchais mon courrier du dernier mois, j’ai reçu un texto: «Suis en avance. Chez toi dans deux minutes.»

J’ai paniqué. Je ne m’étais pas encore douché, et le ménage n’était pas fait. Ma valise était encore ouverte dans l’entrée, et une hémorragie de bobettes sales se prenait pour des nénufars dans le marécage de mon hall d’entrée. Je lui ai texté en panique «Je saute dans la douche»; la propreté de mon corps passera toujours avant celle de mon nid. J’ai poussé la valise au salon, kické mes bobettes dans la penderie et couru à la douche. Malheureux réflexe: je me suis amusé à y faire le pont. Le hic: j’avais oublié que mon père, lors de mes tournées européennes, a la bonté de venir frotter mon bain avec du Vim. Or, l’habituelle saleté de mon bain fait office d’antidérapant pour mes acrobaties cheap. Cette fois, il était étincelant — tout l’amour de mon père irradiait dans cette brillance-là. Il est arrivé ce qui devait arriver: je me suis royalement pété la fiole contre la champlure. À ce moment précis, ça a sonné. Antoine patientait pendant que je me vidais de mon sang. J’ai cautérisé mon hémorragie frontale avec une serviette et enfilé des vêtements décents. J’ai ouvert la porte en lui offrant un sourire de fakir blessé, tout en quémandant un lift pour l’hôpital.

«S’cuse, Simon, mais tu saignes vraiment beaucoup. Je peux pas gérer ça. Je vais devoir y aller. Pardon, vraiment.» Mon ébéniste m’a laissé déconfit, dans mon hall d’entrée faussement propre. Pas de sexualité Alegría. Même pas de grandes mains pour prendre soin de moi. J’ai cogné chez mon père qui vit à côté. Il m’a fait un bandage et m’a conduit jusqu’à l’hôpital.

C’est clairement mon père qui m’aime le plus.