Carolina, 28 ans, associée dans un grand cabinet de notaires à Montréal, le reconnaît sans ambages: «Mon fantasme à moi, c’est qu’un homme m’emmène de force dans son bureau et qu’il me prenne sans me demander mon avis.» Sa copine Angela, avocate, la trentaine pimpante, renchérit: «Au travail, je me bats pour montrer que je suis aussi compétente que les hommes. Mais je l’avoue: j’aime être l’objet sexuel de mon chum.» La première est célibataire, l’autre entretient une relation égalitaire avec son conjoint. Toutes deux exercent des professions à hautes responsabilités. Et pourtant, elles rêvent de la même chose: être soumises à un homme pendant leurs ébats.

Une étude sur les fantasmes sexuels des Québécois menée l’an dernier par des chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières démontre que les deux amies sont loin d’être des cas isolés. En effet, plus de la moitié des femmes interrogées ont affirmé fantasmer sur le fait d’être dominées, mais «de façon non violente et consentante». L’étude révèle par ailleurs qu’un tiers d’entre elles rêvent d’être ligotées, et qu’un quart ne serait pas contre l’idée de recevoir une petite fessée!

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E L James, l’auteure de Fifty Shades of Grey, avait donc vu juste lorsqu’elle a imaginé son héroïne, Anastasia Steele, soumise aux désirs du riche et beau Christian Grey. Depuis sa publication en 2011, la trilogie de la romancière britannique a été vendue à plus de 100 millions d’exemplaires – dont 80% ont été achetés par des femmes. Et il semble que l’engouement pour la mommy porn qui s’en est suivi ait eu des répercussions jusque dans les chambres à coucher… «Les ventes de menottes, de fouets et de bandeaux pour lier les mains ou cacher les yeux ont augmenté de 60% en deux ans dans mes boutiques», constate Cindy Cinnamon, propriétaire des magasins PlanetX, à Québec. «Avant Fifty Shades of Grey, ce genre d’accessoires était réservé aux communautés gaie et sadomasochiste.»

«Chéri, fais-moi mal!»

Prenez l’exemple d’Hannah, le personnage incarné par Lena Dunham dans la série Girls. Elle est intelligente, ambitieuse, et elle aspire même à devenir un jour la voix de sa génération… Pourtant, elle se laisse rudoyer sexuellement par son amant sans rien y trouver à redire. En cette époque où les femmes sont majoritaires dans les universités et aussi présentes que les hommes sur le marché du travail, qu’est-ce qui explique que certaines d’entre elles désirent être brutalisées, voire un tantinet humiliées, dans leur chambre à coucher?

Selon le psychiatre français Serge Hefez, le fantasme de la soumission serait très ancré dans la psyché féminine, et son origine remonterait à l’enfance. «De 0 à 6 ans, l’enfant construit son univers sexuel autour d’un schéma symbolique: celui d’un homme puissant et d’une femme soumise. Cette représentation imaginaire structure toute la sexualité humaine», déclare l’auteur de l’essai Le nouvel ordre sexuel.

Perdre le contrôle et ne plus répondre de ses gestes, ce serait aussi une façon pour les femmes de se déculpabiliser de vivre leur sexualité après des siècles de morale judéo-chrétienne où le plaisir féminin a été considéré comme sale et honteux. «La soumission leur offre la possibilité de jouir sans se sentir coupables. Elles prennent du plaisir… mais n’en sont pas responsables», explique le sexologue belge Iv Psalti.

En outre, le fait d’être dominée par son partenaire, ou encore de ressentir de la douleur, recèlerait un pouvoir érotique non négligeable. «La montée d’adrénaline provoquée par l’attente ou la peur peut mettre la personne dans un état de natural high qui est loin d’être désagréable», note la sexologue Sophie Morin.

Et c’est sans oublier le plaisir que certaines éprouvent à s’abandonner au désir de l’autre… «Dans ma vie, je gère tout: mes enfants, ma compagnie, mon apparence. Je passe mon temps à tout contrôler. Alors, c’est tellement doux de ne plus rien maîtriser!» confie Julie, une grande blonde volubile de 34 ans. Est-ce à dire que plus on a de responsabilités, plus on a envie d’être soumise au lit? «Les femmes qui sont très affirmées dans la société sont souvent nostalgiques de leur passé, du temps où elles étaient de petites filles fragiles qui avaient besoin de protection… Être soumise dans leurs rapports sexuels est sans doute une façon pour elles de prendre une distance face à leur quotidien exigeant», avance la sexologue française Ghislaine Paris, auteure du livre Un désir si fragile.

Pas victime pour autant

«Parfois, j’imagine des scènes extrêmement violentes, dit Julie. Mais jamais je n’en parlerai à mon conjoint. Ça demeure des pensées intimes.» Attention: ce n’est pas parce que Julie s’imagine qu’un homme la prend contre son gré qu’elle désire réellement être violée. Tout comme aimer frissonner devant un film d’horreur ne signifie pas qu’on veut se faire assassiner sauvagement… «Le fantasme du viol est un symbole qui provient de l’inconscient, affirme Ghislaine Paris. Il ne faut en aucun cas le prendre au premier degré.»

Dans le même ordre d’idées, ce n’est pas parce qu’on aime être dominée sexuellement par son partenaire qu’on est soumise dans la vie. Il s’agit avant tout d’un jeu de rôles: on feint peut-être de se débattre, de dire non, mais on est pleinement consentante. «Finalement, c’est nous qui décidons des limites de la scène et de ce que nous accepterons de nous laisser infliger ou pas», explique la sexologue Pascale Robitaille.

En effet, il faut savoir mettre ses limites afin d’éviter de vivre certaines expériences qui pourraient être traumatisantes ou qui sont tout simplement périlleuses. C’est le cas notamment de l’asphyxie érotique, qui consiste à étrangler son partenaire afin de décupler sa jouissance. «La porno a contribué à banaliser cette pratique et à faire croire aux gens qu’elle est dans la norme. Or, elle est dangereuse et peut même causer la mort», affirme Gail Dines, professeure de sociologie à l’université Wheelock College, à Boston.

Comme dans tous les jeux, des règles doivent être clairement posées pour que chacun trouve son plaisir. Fixer ses limites avec son conjoint permet au sexe de demeurer ludique et de ne pas tomber dans la perversion… Angela a quant à elle établi un code avec son chum: «Quand j’estime que ça va trop loin, je dis « rouge », et il comprend tout de suite qu’il faut arrêter. Ça ne m’empêche pas, le lendemain, entre deux plaidoiries, de repenser à nos mises en scène érotiques… et d’en rougir encore!»

Témoignages

«J’étais son jouet.» Salomé, 37 ans

«Cédric et moi, on ne se voyait que pour le sexe. C’était clair entre nous deux. Un jour, j’ai reçu un étrange colis. À l’intérieur, une toute petite télécommande et un mot: « Si tu veux savoir ce qu’elle contrôle, viens le 10 septembre, à 10 h, au même hôtel que d’habitude. » C’était signé Cédric. J’étais tout excitée! Mais le rendez-vous allait avoir lieu dans trois semaines. Comment allais-je faire pour patienter jusque-là? Le jour J, il m’a offert trois autres paquets. Dans le premier, il y avait une cravache; dans le deuxième, un petit sex toy; et dans le dernier, deux petites culottes. Sur l’une était brodé « soumise », sur l’autre, « insoumise ». Il m’a demandé d’enfiler une des deux, et j’ai choisi la première. Il s’est emparé de la cravache et nous avons fait l’amour. J’étais entièrement soumise à ses désirs. Je devais m’abstenir de parler et juste me plier à ses demandes. Le soir, nous avons dîné au restaurant. Il m’avait demandé d’insérer en moi le tout petit sex toy, qui était relié à la télécommande reçue dans le premier colis. Pour me déstabiliser, il l’actionnait sans m’avertir. J’étais totalement à sa merci. Et c’était… délicieux. Le lendemain, nous avons pris le temps de parler davantage. J’ai découvert un homme sensible, gentil, attentionné, qui aimait simplement dominer sous la couette. La suite? Nous sommes ensemble depuis trois ans. Et souvent, je remets ma culotte de soumise.»

«Il m’a fait découvrir le plaisir de la soumission.» Virginie, 35 ans

«J’étais mariée depuis 10 ans, et ma vie de couple s’essoufflait sérieusement. Au bureau, un collègue me draguait depuis quelque temps. Il avait commencé par m’envoyer des petits mots gentils, qui s’étaient ensuite transformés en textos enflammés. Il commentait ma tenue du jour, me disait qu’il voulait me voir ailleurs que dans les couloirs du bureau… Au début, mes réponses étaient plutôt sages, mais j’ai fini par entrer dans son jeu. Je me suis mise à espérer qu’il m’écrive. Un après-midi, il m’a envoyé le message suivant: « Rendez-vous ce soir chez moi. J’ai acheté du bon vin. Envie de te le faire découvrir. » Mon mari étant absent, c’était l’occasion parfaite. À peine m’avait-il ouvert la porte qu’il se jetait sur moi comme un sauvage pour me déshabiller. Il m’a fait l’amour tout en mettant sa main sur ma bouche pour m’empêcher de parler. Il était brutal, décidait de tout, me parlait mal, me donnait même des ordres. Moi qui étais habituée à la position du missionnaire, j’ai été vraiment surprise par sa façon de faire! Mais c’était tellement bon de pouvoir m’abandonner totalement à lui… J’ai continué à le revoir pendant quelques mois, jusqu’à ce qu’il change de ville. Dommage. J’ai de très bons souvenirs de nos rencontres interdites.»

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