Notre rencontre s’est déroulée comme dans un film. Par un après-midi splendide, je suis là, un bout de papier à la main, à chercher l’adresse où j’ai rendez-vous, lorsque je le vois s’avancer vers moi. Grand, musclé, les cheveux bruns en bataille, le teint hâlé et les yeux bleus, il est comme un soleil, et je lui souris spontanément. L’air moqueur, il me sourit à son tour, avant de me demander s’il peut m’être utile. Une fois qu’il m’a indiqué la maison que je cherche, il me regarde droit dans les yeux et m’invite à souper avec lui le soir même «dans le meilleur bar à sushis de Montréal». «Passe chez moi à 20 h. Voici mon adresse », me lance-t-il en me tendant une carte de visite. «Je m’appelle Alex.» Époustouflée, je reste là sans dire un mot, totalement sous le charme. Jamais on ne m’a abordée comme ça!

Et si son invitation n’était que des paroles en l’air? Et si ce bel inconnu dans la trentaine était un détraqué? Étrangement, même si nous n’avons échangé que quelques mots, il m’inspire confiance. En fait, il m’attire follement. J’ai 22 ans, je suis libre comme l’air et je n’ai qu’une envie: le revoir!

L’esprit en ébullition, je file à mon rendez-vous, puis je fonce raconter mon coup de foudre à mes deux colocs. Ils sont aussi soufflés que moi. Mathis-le-raisonnable n’arrête pas de me dire de me «méfier de ce mec-là», tandis que Léa-la-romantique s’extasie pour moi. J’ai beau être confiante, j’ai tout de même un léger doute: et si je m’apprêtais à faire une folie?

 

À 20 h, je me rends chez lui, le coeur battant. Il m’accueille avec chaleur. Son appartement? Impressionnant, avec ses hauts plafonds, ses grandes mezzanines, ses multiples tableaux et ses souvenirs de voyage. Mais pas question de nous y attarder, car «le meilleur bar à sushis de Montréal » nous attend. Sûr de lui, Alex me prend par la main et m’entraîne joyeusement vers le resto.

Nous avons passé une soirée merveilleuse. J’ai ri et j’ai été captivée par ses récits de voyages autour du monde, ses rencontres avec des stars du show-business et des personnalités politiques. Drôle et vif d’esprit, Alex m’a parlé de sa vie palpitante avec une étonnante humilité. En plus, il voulait tout savoir de moi, de ma vie à l’université, de mes passions, de mes amis, de mes ambitions… Attentif, il m’a fait me sentir exceptionnelle. Il m’a raccompagnée chez moi et m’a embrassée tendrement. Je lévitais! J’ai tout raconté à Léa et à Mathis, soulagés de me voir saine et sauve, avant de me jeter sur mon lit, les yeux au ciel et les bras en croix. J’étais amoureuse!

Alex m’a rappelée dès le lendemain. On s’est revus le soir même, le soir d’après et tous ceux qui ont suivi. En fait, on ne s’est jamais quittés depuis notre rencontre. Tout était facile et palpitant avec lui. Il adorait me faire rire et, surtout, me faire éprouver des sensations fortes. Son trip, c’était de m’emmener grimper sur les toits des édifices pour admirer la ville la nuit. Il m’aidait à sauter, il me portait… rien ne l’arrêtait. C’était vraiment excitant. Quand je lui demandais comment il avait développé une telle agilité, il m’expliquait qu’il s’était toujours entraîné à ce genre de choses. J’avais beau le voir tous les jours et dormir chez lui chaque nuit, je ne savais rien de lui, à part qu’il était né à Montréal et qu’il était avocat spécialisé en arbitrage international. Dès que je tentais d’en apprendre plus, il se défilait habilement. Mais bon, son mystère me fascinait tellement que je ne me posais pas tant de questions que ça, en tout cas jusqu’à ce que je découvre de drôles d’indices…

Durant les six premiers mois de notre relation, on se faisait souvent réveiller par le téléphone en pleine nuit. Alex se réfugiait immanquablement dans son bureau pour discuter en anglais ou dans une langue qui sonnait comme du russe. J’étais perplexe, mais je ne faisais pas de commentaires, sachant très bien que, quoi que je dise, il aurait à nouveau esquivé mes questions.

Un matin, alors qu’il était sous la douche, j’en ai profité pour fouiller dans son secrétaire. J’y ai découvert plusieurs passeports lui appartenant, mais avec des photos, des nationalités et des âges variés. J’étais renversée. Sans compter que la veille, j’avais repéré un microtatouage en forme de code-barres dans le bas de son dos! Ça m’a donné le frisson. J’ai regagné le lit en commençant à faire le lien entre différents signes: son agilité à grimper sur les toits, son flair pour repérer les caméras de surveillance, les escaliers et les sorties de secours, sa façon de boire sans vraiment s’enivrer pour toujours rester maître de la situation… Et puis, l’autre jour, ne m’avait-il pas remis une carte avec un numéro de téléphone à composer au cas où il lui arriverait quelque chose de terrible en ma présence? Hum, Alex serait-il… un agent secret? L’idée m’a semblé risible jusqu’au jour où, en téléphonant chez lui, je suis tombée sur sa mère. Elle m’a annoncé qu’Alex avait quitté le pays et qu’«il n’était pas près de revenir». Paniquée, j’ai tenté de le joindre sur son cellulaire, mais en vain. Quel désarroi! Et si c’était vrai, s’il était vraiment parti sans me le dire? Pas de nouvelles pendant trois semaines. J’étais inconsolable.

Puis un dimanche, je reçois un bref courriel: «J’ai été appelé d’urgence en Afghanistan. Je rentre bientôt, Alex.» Je respire enfin. Mais cinq longs mois s’écoulent sans qu’il me donne le moindre signe de vie. Je suis triste à mourir. Obsédée, je passe des heures sur Internet, tentant de recouper les maigres renseignements que j’ai sur lui. Je fais même le fameux numéro «au cas où», mais je me heurte à un message incompréhensible.

Un soir de mai, Alex se pointe finalement chez moi à l’improviste. Il se jette à mon cou en me répétant combien je lui ai manqué. Heureuse et furieuse à la fois, je le bombarde de questions; j’ai besoin de savoir. Mais Alex se défile encore et encore. Et je cède de nouveau à ses charmes.

Le manège a duré trois ans. Trois ans d’allers-retours, de retrouvailles, de souffrances et de demi-vérités. C’était l’enfer. Alex avait beau tenter de me rassurer, de dire qu’il m’aimait, qu’il voulait avoir des enfants avec moi – même si on ne vivait toujours pas ensemble -, je n’y croyais plus. J’en avais assez de mettre ma vie en suspens pour un homme qui me captivait, mais qui m’échappait tout le temps. À 25 ans, j’avais besoin de stabilité émotive. Si bien que, durant une autre disparition inopinée d’Alex, j’ai rencontré Nicolas, un gars tout à fait différent et prêt à s’engager.

Après bien des déchirements, j’ai rompu avec Alex, la mort dans l’âme. Je l’aimais encore, mais c’était une vie de couple impossible. J’ai donc choisi Nicolas, avec lequel j’ai eu une relation aimante, équilibrée, qui a duré deux ans.

Alex et moi sommes restés plus d’un an sans nous donner de nouvelles. Puis il a refait surface doucement, en me téléphonant, en me textant des mots gentils, en me disant que, quoi qu’il arrive, il serait toujours là pour moi. Contre toute attente, nous sommes devenus de grands amis.

Je lui suis reconnaissante de faire encore partie de ma vie. Malgré tous ses secrets, je n’ai ni regret ni amertume. Au contraire, je suis sortie plus forte de ma liaison avec lui et j’en suis fière.

Ai-je percé le mystère d’Alex? Est-il vraiment un agent secret? Il n’a jamais répondu à la question, se bornant à me dire qu’il travaillait «dans le clan de ceux qui se battent pour la justice». Et ça me suffit. Il m’arrive de lui envoyer des textos drôles à ce sujet: «Alex, es-tu encore en vie? Si oui, dans quel pays?» C’est dire…

Aujourd’hui, à 28 ans, je suis de nouveau libre comme l’air. J’ai quitté l’université et j’organise des voyages d’aventures dans des coins reculés de la planète. J’ai même rejoint Alex quelques fois en Asie. Ce que je souhaite, c’est rencontrer un homme qui serait aussi fascinant que lui, mais plus présent et transparent. Et ne pas m’aventurer dans une mission impossible, cette fois!

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Un journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Kenza Bennis, ELLE QUÉBEC, 2001, rue University, bureau 900, Montréal (Québec) H3A 2A6. Courriel: [email protected].

 

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