«Les hommes n’arrêtent pas de dire qu’ils veulent une cochonne dans leur lit, mais dès qu’ils en ont une, c’est la débandade!» raconte Antonia, 27 ans. «Et croyez-moi, ça m’est arrivé plusieurs fois. Moi, j’ai beaucoup d’appétit dans la vie, pour tout: la bouffe, la fête, le sexe. Mais je suis rarement tombée sur des gars qui assumaient pleinement ma libido. La plupart du temps, ils sont bien contents au début, puis ils se lassent vite. Du coup, c’est moi qui dois freiner mes envies, surtout que c’est extrêmement gênant d’être toujours en position de demande et d’essuyer des refus. Parfois, ça tourne mal. Un jour, au cours d’une dispute, je me suis fait traiter de pute et de chienne en chaleur. Mon amant a eu beau s’excuser, j’ai bien vu que, au fond de lui, c’était ce qu’il pensait.»

Et il n’est pas le seul. Pour la très grande majorité des hommes, une femme n’est pas censée avoir une forte libido. En Occident, on lui accorde -et seulement depuis quelques décennies -le droit de jouir, mais il ne faut quand même pas qu’elle exagère… Depuis le 19e siècle, notamment, les scientifiques, relayés par les psychanalystes freudiens, se sont acharnés à démontrer que la testostérone de ces messieurs exigeait d’eux qu’ils se «soulagent» très souvent, tandis que les pauvres oestrogènes de ces dames condamnaient ces dernières à une sexualité faiblarde et modeste. «Ce discours nous marque encore beaucoup, même inconsciemment», remarque Chantal Maillé, professeure en études des femmes à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia. «Et même au Québec, où on semble débarrassé des valeurs religieuses qui réduisaient la femme à sa fonction maternelle.» Notre société est très sexualisée, ajoute-t-elle, mais elle envoie un double message aux femmes: d’un côté, il faut être sexy, et de l’autre, ne pas “provoquer” les hommes soi-disant incapables de se contrôler…»

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«Le problème est que, biologiquement, cette idée est totalement fausse. C’est même tout le contraire!» souligne Willy Pasini, professeur de psychiatrie et de psychologie à l’université de Genève et fondateur de la Fédération européenne de sexologie. «Ce sont les hommes qui ont besoin d’aphrodisiaques, pas les femmes! Je dirais même que celles-ci ont une sexualité plus forte que celle des hommes. Non seulement elles ont des orgasmes clitoridiens lorsqu’elles sont enfant, alors qu’un jeune garçon n’a aucun orgasme avant sa puberté, mais elles ne connaissent pas de périodes réfractaires pendant l’acte sexuel, et peuvent donc avoir plusieurs orgasmes de suite, ce qui est impossible pour les hommes.»

LE POUVOIR SEXUEL

«L’apparition de la pilule a bouleversé les valeurs religieuses et morales en déconnectant le sexe de sa fonction reproductrice. Elle a ainsi donné aux femmes la liberté de s’approprier le sexe pour le plaisir, comme les hommes. Et ces derniers, qui avaient jusque-là le monopole du désir, n’ont guère apprécié de le perdre», affirme Willy Pasini. «La sexualité, c’est une forme de pouvoir, confirme Chantal Maillé. Celui qui l’exerce domine l’autre. Si les femmes expriment leur désir, elles empiètent sur le pouvoir des hommes.»

Dans les années 70, les féministes ont considéré le sexe comme un outil de répression des femmes et ont poussé celles-ci à se passer des hommes, jugés coupables de les soumettre, explique la professeure. «Les féministes des années 80 et 90 ont revendiqué autre chose: le droit au plaisir, avec qui elles voulaient et quand elles voulaient.» Les hommes ont alors cessé d’être rejetés et ont commencé à devenir objets du désir de ces dames. Ils auraient peut-être pu s’en réjouir…

Les timides l’ont fait, selon Pasini, car ils n’avaient plus à faire les premiers pas. Mais tous n’ont pas apprécié. «Ce n’est pas que les hommes aiment les coincées; ils sont heureux d’avoir une partenaire à l’aise sexuellement, souligne le psychiatre, mais en perdant la maîtrise de la sexualité, ils ont perdu une certaine confiance en eux et, chose tout à fait nouvelle, en leur partenaire.

Si leur conjointe est si libérée, se disent-ils, peut-être voudra-t-elle non seulement leur imposer son propre rythme sexuel, mais éventuellement chercher du plaisir ailleurs.» Bref, les hommes ont peur d’être dérangés pendant leur sieste et, surtout, d’être cocus! Pire encore, ils ont peur d’être comparés aux autres: et si leurs performances étaient médiocres? Mieux vaut alors prendre les devants et damner ces femmes qui ont le diable au corps en les traitant de putains, de fille faciles, de cochonnes ou carrément de nymphos…

GOURMANDES OU BOULIMIQUES?

«Aimer le sexe n’a rien à voir avec la nymphomanie, c’est comme si on confondait une gourmande et une boulimique! précise Willy Pasini. Une nymphomane doit réaliser ses fantasmes à tout prix, et avec n’importe qui, sinon elle n’existe plus. C’est un comportement névrotique, une maladie qui n’a rien à voir avec le plaisir en tant que tel et qui reste tout à fait exceptionnelle. Une femme qui aime beaucoup le sexe est tout simplement une “hyper-érotique”, c’est-à-dire une personne qui assume très bien sa sexualité, mais aussi ses fantasmes, sans pour autant vouloir toujours les réaliser.»

Une femme qui a une forte libido est «généralement une femme tout simplement bien dans sa peau et qui, en plus, investit une grande partie de son énergie dans la sexualité et peut fantasmer sans contrainte», confirme Sylvie Lavallée, sexologue clinicienne, psychothérapeute et auteure de À la conquête du plaisir sexuel. «Pour toutes sortes de raisons, biologiques ou psychologiques, certaines – et certains – ont plus d’intérêt pour la chose que d’autres. Le contraire est aussi vrai; à chacun de trouver son équilibre.»

«N’empêche que lorsque tu manifestes trop d’appétit, monsieur n’a soudainement plus faim!» s’exclame Nini, 44 ans. «À 20 ans, j’ai fait les quatre cents coups, comme les garçons. Nous étions nombreuses à jouir en toute impunité et avec une grande insouciance. Mais quand est venu le temps de s’engager amoureusement, les garçons trouvaient tout à coup qu’on était un peu trop dégourdies.» Alors Nini a parfois réfréné ses pulsions et laissé aux hommes l’illusion de décider quand ils voulaient faire l’amour. «Je comprenais, à ma grande stupéfaction, que malgré la révolution sexuelle, il y avait encore deux sortes de filles pour les hommes: les mamans et les putains. Les femmes elles-mêmes critiquent souvent celles qui sont ouvertement branchées sexe. Il est difficile de se débarrasser des préjugés et de la peur, peut-être aussi d’une forme de concurrence…»

MÉLANIE, 36 ANS
«Je ne dis plus combien j’ai eu d’amants»
«Durant ma vingtaine, j’ai beaucoup “exploré ma sexualité”, comme on dit. Plus crûment, ça signifie que j’ai eu beaucoup d’expériences diverses avec toutes sortes de personnes: des gars, des filles, dans toutes les combinaisons possibles: à deux, à trois, à quatre. Et partout. Dehors dans la neige, dans un recoin du métro Berri en plein centre-ville, dans des soirées sado-maso. J’ai eu plus d’une centaine de partenaires avec qui j’ai testé à peu près tout ce qui peut se faire en matière de sexe, sauf les perversions.

Pourtant, j’ai toujours eu l’air d’une jeune fille “à sa place”. À quelques-uns de mes amoureux, par désir de paraître open, j’ai révélé des expériences hot que j’avais faites. Je l’ai toujours regretté. Au début d’une relation amoureuse, on a l’impression qu’on peut tout se dire. Et c’est un peu vrai, parce qu’on bénéficie alors d’une période de grâce pendant laquelle l’amoureux transi nous voue une admiration sans bornes. Mais ce n’est qu’une illusion. Le temps passe, les choses changent. Puis un jour, c’est sûr, sortent les regards pleins de sous-entendus, les questions: «Et ton ami Martin, as-tu couché avec lui?», «Et ta chum Marie-Hélène, l’as-tu déjà embrassée?».

Un de mes copains m’a même déjà dit qu’il doutait de moi quand je sortais sans lui, en raison de mon “passé sexuel”… Avec le temps, j’ai appris qu’il valait mieux que je garde ce passé pour moi. C’est trop lourd. Trop propice au jugement. Je n’en parle plus à qui que ce soit, pas même à mes amies de filles. J’aurais peur qu’elles aussi me voient différemment. D’ailleurs, moi-même, je ne sais pas comment je réagirais si j’entendais l’une d’elles raconter le type d’aventures que j’ai eues. Je pense que je me dirais: “Ouf, une vraie traînée celle-là…” Alors, évidemment, je me tais. Seules mes amies de longue date connaissent cet aspect de ma vie, parce qu’elles y étaient. Et c’est très bien ainsi.

Mon conjoint, avec qui je suis depuis huit ans, ne sait rien des expériences ou des partenaires que j’ai eus. Il ferait une crise cardiaque! Quand il me dit qu’il n’a jamais eu de blonde aussi dégourdie au lit, je trouve la situation bien amusante. S’il savait! Heureusement, contrairement à mes amoureux précédents, il ne m’a jamais demandé carrément: “Je suis le combientième?” Je n’aime pas mentir, mais dans cette situation, j’aurais menti. Ce que j’ai fait de mon corps avant de le connaître ne regarde que moi.»

LINE. 38 ANS
«J’ai besoin de faire l’amour tous les jours»
«De 20 à 30 ans, j’ai été mariée avec un homme qui n’était pas porté sur la chose: je supportais la situation sans rien dire et sans le tromper. Mais après mon divorce, j’ai réalisé qu’en fait j’avais une forte libido… et je me suis rattrapée! Célibataire, j’ai eu jusqu’à trois amants en même temps, mais depuis que je suis de nouveau en couple, je suis fidèle, car mon conjoint aime ça autant que moi et on fait l’amour tous les jours. Lui adore mon appétit sexuel, mais il est vrai que cela fait peur à beaucoup d’hommes. Je déteste le terme de cochonne qui ne s’applique qu’aux femmes et je n’aime pas le sexe pour le sexe: j’aime être amoureuse. Mais je ne serai plus jamais avec un homme qui n’aime pas le sexe. Si je redeviens célibataire, j’ai un ancien amant qui sait très bien me satisfaire. Seigneur! on est au 21e siècle et il est temps que les femmes se réveillent et assument leur sexualité!»

ANITA, 50 ANS
«Cinq fois par semaine, au moins…»
«J’ai découvert sur le tard que j’aimais beaucoup faire l’amour. Mon premier mari était mon meilleur ami et j’avais peu de désir pour lui. Mon second mari, lui, me fait sans arrêt des compliments et entretient un climat sensuel. Nous faisons l’amour au moins cinq fois par semaine et tous les jours quand nous sommes en vacances. Si la ménopause devait influencer ma libido, nous nous pencherions sur la question ensemble, car je sais maintenant que le sexe est très important dans une relation. Cela dit, je suis une femme qui a eu très peu d’aventures et je refuse le sexe sans amour. Si ma libido est forte aujourd’hui, c’est que mon désir pour mon conjoint, et seulement pour lui, est grand.»

GILLES, 33 ANS
«Ma blonde aime beaucoup le sexe»
«C’est vrai que la première fois que j’ai rencontré ma blonde et qu’elle m’a dit – et montré – qu’elle aimait le sexe, et surtout les fellations, j’ai été un peu surpris. C’est rare d’entendre une fille tenir ce genre de discours! Je reconnais qu’au début je me suis un peu inquiété, me demandant si son amour du sexe s’étendait à d’autres que moi. Je me suis rendu compte que j’étais un peu macho… Depuis, elle m’a rassuré, et tout va bien aujourd’hui, pour notre plus grand plaisir à tous les deux!»

 

 

 

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ILLUSTRATION: Jacques Laplante