Votre bonne amie Josée débarque chez vous pour le cinq à sept avec une bouteille de rosé et Mitch, son nouveau chum. Elle est végétarienne, écologiste et poète. Il s’habille en cuir, n’a lu que le Guide de l’auto et L’almanach du pêcheur, et il sent l’huile à moteur. Au cours de la soirée, vous vous retrouvez seule dans un coin avec Josée, qui rit nerveusement et vous dit: «Oui, je sais, ça surprend, hein? Mais on dit que les contraires s’attirent.»

Josée a probablement entendu ça dans un téléroman.

Imaginez le scénariste d’un téléroman qui veut raconter l’histoire d’un couple. La première chose qu’il recherche en ébauchant ses personnages, c’est un potentiel de conflit. La longévité d’un couple à la télé est basée sur la quantité de drames qu’il peut générer. Ce n’est pas pour rien que, dans les contes de fées, la mention «Ils se marièrent et vécurent heureux » précède de peu le mot FIN. Il n’y a alors plus rien à raconter. Pour qu’une série dure au moins cinq saisons, il faut trouver le moyen de faire tomber amoureux deux personnages aux antipodes l’un de l’autre qui vont s’entredéchirer de toutes les façons imaginables: un Julien introverti et une Mylène échangiste; une Valérie aveugle et un Martin mime; une Nancy voyageuse au pied marin et un Danny sédentaire sujet au mal de mer. Voilà des couples dont l’amour trouble alimentera de nombreux épisodes!

 

Le scénariste a aussi le devoir de compliquer, par mille stratagèmes, la vie de ses personnages. Mylène est échangiste, certes, mais son histoire peut être encore plus palpitante. Par exemple, si Julien l’introverti la présente à ses parents, Denise et Jean-Louis, de fervents catholiques très pieux en apparence. Mylène les a croisés récemment à une soirée cravache-et-latex au club Les Petits touche-à-tout (le jour, c’est une garderie). Le public sera rivé à son téléviseur pour suivre chaque semaine la comédie ou le drame que vivent ce couple mal assorti et leurs familles dysfonctionnelles.

La fiction, ça ressemble à la réalité, mais ça ne l’est pas. C’est conçu pour qu’on se dise: «Ces personnages nous ressemblent, mais on ne serait jamais assez idiots pour se mettre dans des situations pareilles. » On les regarde et on se rassure: comparé à leur couple, le nôtre va plutôt bien. Surtout si on a eu la présence d’esprit de suivre le dicton «qui se ressemble s’assemble». Parce que, dans la vraie vie, les couples dépareillés, ça fait surtout la une des journaux dans la catégorie Drames conjugaux. Et quand Josée l’écolo-intello repart avec Mitch, qui l’emmène à la chasse aux canards dans son gros pick-up, t’espères au moins que le jour où ça se terminera, la rupture se fera sans trop de mal. Ou bien qu’ils nous en feront une série télé.

 

 

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