MISE À JOUR 2016-06-01

«Je pense que t’es lesbienne, Nicole.» Quand l’homme avec qui je partageais ma vie m’a asséné cette phrase, au moment de notre rupture, j’aurais dû être furieuse. Pourtant, je suis restée calme. Comme si une évidence s’imposait à moi. Aux yeux de tous mes proches, depuis toujours, j’étais hétéro, mais Olivier avait su voir ce que je n’osais même pas m’avouer à moi-même: que j’étais gaie.

Ç’a été comme un déclic. Il avait raison, je le sentais. Mais comment faire pour changer de vie comme ça, à 45 ans?

Je vivais à ce moment-là dans un très petit village où tout le monde se connaît. Dans mon coin natal, il n’y a jamais eu beaucoup de tolérance envers les gens différents. Mes parents ont toujours été très aimants et généreux, mais j’ai souvent entendu mon père critiquer des hommes ou des femmes qu’il soupçonnait d’être homosexuels.

Adolescente, j’ai donc commencé à fréquenter des garçons sans me poser de questions. À 16 ans, j’ai entamé une relation amoureuse avec un gars, et quand il a décidé de déménager à Montréal, je l’ai suivi. Malheureusement, il s’est avéré que Michel était alcoolique. Lorsqu’il ne buvait pas, notre vie allait bien, mais dès qu’il prenait un coup, il mettait tout notre argent en jeu. Ça ne nous a pas empêchés d’essayer d’avoir un enfant pendant plusieurs années, mais nos tentatives n’ont rien donné. J’ai cru que j’étais stérile, et j’ai fini par accepter que je ne serais jamais mère.

 À cette époque, nous étions très proches d’un autre couple, formé par mon amie d’enfance Luce et son mari. Elle était ma confidente la plus intime. Notre amitié était intense, absolue. Il y avait plus: quand je me trouvais physiquement proche d’elle, je ressentais un trouble, un certain émoi qui me déstabilisait sans que je puisse le nommer. À plusieurs reprises, j’ai eu l’impression que ce trouble était mutuel, mais je n’aurais jamais osé lui en parler. Je n’aurais pas su quoi lui dire exactement… Nous étions toutes les deux en relation avec des hommes et, dans mon esprit, être amoureuse d’une femme, ça ne se faisait pas.

Au bout de huit ans avec Michel, j’ai enfin compris que son problème d’alcool ne disparaîtrait pas. Un jour, il m’a balancé un cendrier à la tête au cours d’une dispute, et ç’a été la proverbiale goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le lendemain, j’ai fait mes valises et je l’ai quitté.

Pour la première fois de ma vie, j’habitais seule. C’était grisant. Un matin, alors que j’attendais l’autobus, un très bel homme noir m’a abordée pour me demander du feu. Je lui ai offert une allumette et je suis repartie avec son numéro de téléphone.

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Quelques semaines plus tard, nous avons commencé à nous fréquenter. Comme je croyais être stérile, je ne prenais aucune précaution… et je suis tombée enceinte.

Je ne voulais pas de ce bébé. Je ne me voyais pas fonder une famille avec cet amant de passage et j’avais peur d’assumer seule le fardeau d’élever un enfant. Mais le jour prévu de l’avortement, je me suis retrouvée paralysée sur le trottoir en face de l’hôpital, incapable de traverser la rue. J’ai brusquement senti, sans l’ombre d’un doute, que je voulais garder cette petite vie à l’intérieur de moi.

À mesure que ma grossesse avançait, mon amant a commencé à dire qu’à la naissance du bébé il l’emmènerait sans moi en Haïti pour le présenter à sa famille. Je me suis mise à avoir très peur qu’il m’enlève mon nouveau-né. J’ai donc pris la décision de quitter Montréal et d’aller accoucher en Gaspésie, auprès de mes parents. J’ai su peu de temps après qu’il fréquentait une autre femme en même temps que moi, et qu’elle aussi attendait un enfant de lui! Qu’est-ce qu’ils étaient désastreux, les hommes de ma vie… Celui-là a disparu assez rapidement dans la nature, sans jamais connaître ma fille, Annick.

Moi, je me suis réinstallée en Gaspésie. Je suis retournée habiter chez mes parents, qui prenaient soin de ma puce pendant que je travaillais. Longtemps, je n’ai eu aucune relation amoureuse – je me concentrais uniquement sur ma fille. Puis, peu à peu, j’ai recommencé à fréquenter des hommes, mais sans jamais vraiment tomber amoureuse. Mes expériences précédentes m’avaient rendue si amère…

Ça a duré comme ça jusqu’à ce que je rencontre Olivier. C’était un type bien. Pendant plusieurs années, nous avons été heureux ensemble; c’était un petit bonheur tranquille, sans pression. Puis nous avons commencé à dériver chacun de notre côté. Quand nous parlions de nos fantasmes sexuels, par exemple, c’est moi qui suggérais d’inviter une autre femme dans notre lit! Lui, de son côté, avait envie de vivre une histoire plus profonde, plus passionnée. C’est ainsi que nous nous sommes quittés… et qu’il m’a avoué être convaincu que j’étais lesbienne.

Je savais qu’en restant dans mon village je n’aurais jamais vraiment l’occasion d’explorer mon homosexualité. Comme ma fille était partie étudier dans une autre ville, j’ai choisi de revenir à Montréal, où je pourrais vivre ce que je voulais dans l’anonymat. J’avais déjà commencé à flirter avec des femmes sur des sites de rencontres, mais l’idée de passer du virtuel au réel me rendait nerveuse. J’ai même annulé plusieurs rendez-vous à la dernière minute, parce que j’étais prise de panique! Quand j’ai fini par passer ma première nuit avec une femme, j’étais hyper anxieuse, mais je sentais que j’étais sur la bonne voie.

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Au début, tout ça était déstabilisant. J’avais du mal à m’habituer à ma nouvelle vie. J’avais surtout tellement peur que mes parents me renient et que ma fille ne veuille plus me parler s’ils apprenaient que j’étais lesbienne! J’étais prête à étouffer encore mon homosexualité jusqu’à ma mort pour ne pas les perdre. Finalement, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tâté le terrain: j’ai annoncé à ma mère que j’avais rencontré quelqu’un… et que c’était une femme. «Y était temps que tu t’assumes! s’est-elle exclamée, à ma grande surprise. Je savais depuis longtemps que tu préférais les femmes!» Quel soulagement de voir qu’elle m’aimait quand même! C’est d’ailleurs elle qui s’est chargée de l’annoncer délicatement à ma fille et à mon père, parce que moi, j’en étais incapable.

Au tout début, Annick a trouvé difficile de me voir avec des femmes. Même si elle avait une tonne d’amis gais, rien ne l’avait préparée à ça. «C’est pas pareil! Toi, t’es ma mère!» me disait-elle, et je la comprenais. Pourtant, à peine quelques mois plus tard, elle s’était complètement adaptée à la situation. D’ailleurs, c’est pour elle que j’ai accepté de raconter mon histoire. Elle m’a dit: «Maman, tu t’es cachée assez longtemps! Tu n’as pas à avoir honte de qui tu es!»

Quelque temps après mon coming out, ma grande amie Luce a reçu un diagnostic de cancer. Même si nous n’étions plus aussi proches qu’avant, je me suis précipitée à l’hôpital pour la voir. Je suis restée à son chevet pendant toute la durée de son combat contre la maladie. La veille de sa mort, elle m’a enfin avoué son secret. «Nicole, j’étais amoureuse de toi pendant toutes ces années, a-t-elle chuchoté. Je t’aime et je t’ai toujours aimée.» J’ai compris à quel point nous avions enfoui des choses, toutes les deux, au nom d’une hypothétique normalité. J’ai appris aussi qu’elle avait été très malheureuse avec son mari et j’ai regretté amèrement ne pas avoir pu la sortir de là, prendre soin d’elle, la rendre heureuse pendant qu’il était encore temps. J’ai eu énormément de peine lorsqu’elle s’est éteinte. Ç’a été une période très douloureuse pour moi, mais ça m’a aussi permis de comprendre à quel point c’était important de ne plus me mentir à moi-même.

Je ne regretterai jamais mon parcours de vie. Le fait d’avoir vécu en tant qu’hétérosexuelle m’a permis d’avoir une fille, qui est ce qu’il y a de plus précieux au monde pour moi. Je regrette seulement d’avoir attendu si longtemps avant d’assumer mon homosexualité. Aujourd’hui, je vis en couple avec une femme que j’aime et avec qui je partage une belle complicité. Pour la première fois peut-être, je me sens enfin vraiment moi-même. N’est-ce pas tout ce qui compte?

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