Je venais d’être engagée dans une lunetterie comme assistante-optométriste, et c’était ma première journée de travail. Je me souviens encore de mon étonnement quand j’ai rencontré Jonathan, mon nouveau patron. Lorsqu’il est passé devant moi, super grand (6 pi 2 po!), beau gosse, bien bâti (il a joué au hockey pendant 15 ans), j’ai tout de suite été impressionnée. Surprise aussi: pendant l’entrevue d’embauche, on m’avait dit qu’il était très exigeant et que travailler avec lui n’était pas forcément facile. Avant même de le connaître, je m’étais fait de lui l’image d’un râleur. Or, il s’est montré immédiatement très jovial, tout à fait le contraire de ce qu’on m’avait décrit!

Au bureau, il me complimentait chaque fois qu’il en avait l’occasion. Il me disait que j’étais la meilleure des assistantes. Il n’y avait là aucun sous-entendu: il était pas mal plus vieux que moi – 37 ans -, et il avait déjà deux enfants, une fillette de 8 ans et un garçon de 14 ans, d’une union précédente. De mon côté, j’avais un copain. Bref, Jonathan et moi, on s’entendait très bien, mais ça n’allait pas plus loin. Je le trouvais très beau mais, pour moi, il était un peu comme une star de cinéma: magnifique et inaccessible.

Les mois ont passé, et j’ai décidé de retourner à l’université pour compléter un baccalauréat en éducation. J’ai continué de travailler pour la même compagnie, à temps partiel, mais dans une autre succursale, plus près du campus. Comme Jonathan était en vacances à ce moment-là, je lui ai fait part de ma mutation par courriel. On ne se voyait donc plus, et l’histoire aurait pu s’arrêter là.

 Tout a changé au fameux party de Noël de la compagnie, qui réunissait chaque année les employés de toutes les succursales. De mon côté, je m’étais séparée de mon chum, et j’avais franchement hâte de revoir Jonathan. La soirée a été à la hauteur de mes attentes: on a passé la nuit entière à parler comme on ne l’avait jamais fait, à l’écart des autres. Le lendemain, on échangeait déjà des courriels plus intimes. Et quelques jours plus tard, je recevais le message le plus romantique dont une fille puisse rêver: la veille, il avait vu une étoile filante et il avait fait un voeu en pensant à moi. Tout est allé très, très vite ensuite. À notre première date, il m’a avoué que ce qu’il ressentait pour moi dépassait l’attirance physique. À peine une semaine plus tard, il m’invitait à l’accompagner dans le Sud pour le Nouvel An. J’ai d’abord hésité: ce qui m’effrayait, ce n’était pas tellement le fait qu’il avait deux enfants, mais nos modes de vie radicalement différents. Moi, j’étudiais à l’université, je n’avais pas beaucoup de sous et je sortais souvent avec mes amis. Lui, c’était un professionnel bien établi qui menait une vie rangée. J’ai quand même fini par accepter son invitation, en me disant que cette semaine à deux serait un peu comme la version accélérée de plusieurs mois de rendez-vous espacés.

Sur place, on a vécu une semaine très agréable. On a bien vite parlé de l’avenir, de ses enfants, de nos espoirs et de nos désirs… Ce n’était clairement pas une aventure sans lendemain! Dès notre retour à Montréal, il m’a proposé de rencontrer sa fille et son fils, à qui il avait déjà parlé de moi. Tout s’est merveilleusement bien passé avec eux. Jonathan m’avait dit que son fils était plutôt réservé, et sa fille, très ouverte. Finalement, les deux se sont révélés pas mal curieux et assez bavards; à la fin de la soirée, la petite m’a même demandé si j’allais rester dormir à la maison. Non seulement je suis restée ce soir-là, mais je ne suis plus jamais repartie! Très vite, j’ai emménagé chez Jonathan.

Les premiers temps de notre vie commune ont été formidables. Je me sentais bien avec les enfants, dont nous avions la garde la moitié du temps. La petite, surtout, me couvrait de câlins et de bisous. Pourtant, j’ai rapidement commencé à éprouver des sentiments contradictoires, sans me l’avouer. Je trouvais les contraintes de la vie familiale difficiles. Je savais que les enfants prendraient de la place, mais je ne me doutais pas à quel point: les soirées entre amoureux me manquaient, et je commençais à me demander si, dans la vie de mon chum, je passerais toujours après ses deux enfants. Rien que d’y penser, je me sentais archicoupable, d’autant plus qu’ils avaient toujours été très gentils avec moi.

En voyant la façon dont Jonathan élevait ses enfants, je ne pouvais pas m’empêcher de faire des comparaisons avec ce que j’avais connu. Mon éducation, très stricte, avait été très différente de la leur. Mes parents, qui avaient une différence d’âge de 22 ans, se sont séparés lorsque j’avais 7 ans, et ma mère a refait sa vie ailleurs. C’est donc mon père, d’origine chinoise, qui m’a élevée seul, sans beaucoup de moyens. Jonathan, lui, ne refusait rien aux siens. Il suffisait que sa fille lui demande quelque chose pour qu’elle l’obtienne aussitôt! Ça devenait très irritant. Quand je tentais de lui expliquer comment je voyais les choses, il me renvoyait à mon manque d’expérience. À 21 ans, me disait-il, je ne pouvais pas savoir mieux que lui ce qu’il convenait de faire. Pour moi qui étudiais en enseignement, c’était très douloureux d’entendre que je n’avais aucune crédibilité en la matière.

Ma situation était d’autant plus difficile que je ne pouvais pas me tourner vers mes amis, trop étrangers à ma réalité, pour m’épauler. Il faut avoir vécu cette expérience pour vraiment la comprendre. Aussi suis-je allée chercher conseil dans les livres. J’y ai appris qu’il est plus facile de régler ce genre de problème quand on assume ses sentiments, en l’occurrence ma jalousie vis-à-vis des enfants. Je me suis également rendu compte que je ne pouvais pas constamment déverser mes doutes et mes insatisfactions sur Jonathan. J’ai alors commencé à puiser des solutions en moi-même: d’abord, j’ai pris plus de temps pour moi; ensuite, lorsque j’étais irritée contre les enfants, je résistais à mon premier réflexe, celui de m’éloigner d’eux. Et ça a marché: la petite, notamment, s’est mise à me témoigner encore plus d’affection.

Cet équilibre précaire a cependant failli être rompu après des vacances que nous nous étions offertes ensemble, Jonathan et moi. Dans les semaines précédant le voyage, il y avait bien eu des hauts et des bas, mais j’en étais arrivée à la conclusion que j’étais capable de faire beaucoup de concessions pour sauver notre relation. Ce que je ne savais pas, c’est que Jonathan, lui, avait fait le chemin inverse: il en était venu à penser que je ne pouvais pas être heureuse avec lui. Lorsque nous sommes rentrés chez nous, il m’a porté le coup de grâce: il ne voyait plus d’avenir pour nous deux!

Abasourdie, je suis allée me réfugier quelques jours chez ma mère. Je n’avais pas envie de quitter Jonathan, j’étais très amoureuse de lui. Je suis donc retournée le voir pour lui expliquer tout le cheminement que j’avais fait. Il m’a écoutée en silence. Puis, il m’a avoué qu’il ne savait pas que je l’aimais à ce point. Moi, j’avais toujours eu l’impression de lui manifester mon amour, mais visiblement, le message avait été brouillé.

Cette crise aurait pu sonner le glas de notre vie commune. Au contraire, elle nous a obligés à mieux communiquer. Jonathan est devenu plus attentif à mes besoins, et moi, j’essaie d’être moins exigeante envers lui. Au final, j’ai compris que la vie m’avait mise dans une situation où tout s’était déroulé en accéléré. Du jour au lendemain, j’étais devenue la belle-mère d’une petite fille et d’un ado, sans aucune forme de préparation! Aujourd’hui, quand je lis des blogues de femmes qui décrivent leur existence facile et idyllique avec les enfants de leurs conjoints, je ne m’y reconnais pas du tout. Je sais, moi, que la vie de famille demande beaucoup de compromis, mais aussi que, si on affronte les difficultés au lieu de se mettre la tête dans le sable, ça devient une expérience incroyablement enrichissante. Et puis, quand je reçois un câlin, un mot gentil ou un compliment d’un des enfants, je suis doublement récompensée!


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