Par le passé, lors des Fêtes de fin d’année, on aurait sans doute privilégié des petites robes noires moulantes, courtes, fendues, bouffantes ou même à col roulé qui en dévoilent assez — mais pas trop — pour se sentir à la fois sexy et confortables. Cette saison, pourtant, une tendance crée la surprise: l’heure est aux robes transparentes, en dentelle ou en maille, comme une invitation à se montrer au grand jour dans les cocktails et les partys.

Lancée par Kendall Jenner et Hailey Bieber, la tendance du «sans pantalon», qui consistait à ne porter qu’une chemise boyfriend ultralarge, un blouson aviateur et des escarpins, s’est radicalisée et a fait place à des shorts aussi courts que des culottes. Ainsi dévoilées, les jambes sont devenues l’élément caractéristique de cette mode centrée sur l’hypervisibilité. Vanessa Hudgens, Bella Hadid et Olivia Rodrigo ont été vues en boxer Calvin Klein ou Ralph Lauren, et la chanteuse Dua Lipa s’est amusée à surnommer son microshort Miu Miu «sun bum» (littéralement «fesses de soleil»), tant sa coupe ultracourte exposait son derrière joliment bronzé. À la Mostra de Venise en septembre dernier, Emma Corrin a adopté à son tour un minishort vert Miu Miu, assorti à son cardigan, en réussissant à insuffler à son look une allure sophistiquée et décomplexée. Et quand la top Saffron Vadher a choisi de porter la fameuse culotte Miu Miu en soie et en laine, parée de paillettes dorées, elle a du même coup éclipsé toutes les sublimes robes portées ce soir-là en donnant l’impression qu’elles étaient bien trop habillées pour l’événement.

Cette tendance du «sans pantalon» met en valeur le bas du corps tout en camouflant le haut. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Maintenant que le style a été sanctifié partout et par tous, il pivote vers des silhouettes encore plus osées, soit des robes transparentes, en dentelle ou en maille, qui ne laissent pas grand-chose à l’imagination. Personne ne s’en plaint, mais pourquoi tenons-nous tant à nous exposer?

«Le monde numérique a fait de nous des exhibitionnistes, et dans cet espace en ligne, on appartient tous à tout le monde. »

La dentelle d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’autrefois, qui était surtout utilisée pour les sous-vêtements et dissimulait une sensualité discrète. Aujourd’hui, la lingerie est d’humeur ludique, elle se porte de nuit comme de jour et apporte à l’audace de sortir presque nue un style pourtant décontracté. Associé à des baskets, à des bottes à semelles épaisses ou à un cardigan, le look semble faire l’éloge de cette surexposition à la fois chic et terriblement cool.

Dévoiler la peau a toujours accompagné la révolution sexuelle. Des slogans comme «Free the nipple» («Libérez le mamelon») sont recyclés depuis le début des années 1960, en clin d’œil au progrès des droits des femmes. En 1964, Rudi Gernreich a lancé le monokini, qui libérait entièrement la poitrine. Deux ans plus tard, Yves Saint Laurent lui emboîtait le pas en jouant sur la diaphanéité des tissus, avant de présenter en 1968 une robe en mousseline complètement transparente, garnie de plumes d’autruche à la taille. Cette tenue, immortalisée à l’époque sur Danielle Luquet de Saint Germain, la muse du créateur, a provoqué un véritable scandale et a fait jaser autant que l’iconique smoking (jusque-là réservé aux hommes) de la collection automne-hiver 1966. Cette fois, c’était l’extrême féminité de cette robe transparente qui devenait une arme politique pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.

Avance rapide jusqu’au défilé printemps-été 2024 de Saint Laurent: le designer Anthony Vaccarello a écumé les archives de la maison pour remettre au goût du jour des combinaisons d’exploratrices, inspirées «d’Amelia Earhart, d’Adrienne Bolland et d’autres femmes pionnières qui ont infiltré des domaines autrefois considérés comme exclusivement masculins, comme l’aviation et la course automobile», selon les notes de la collection. Parmi les pantalons cargo, les sahariennes et les lunettes de sécurité, on a surtout remarqué des hauts en gaze moulants entièrement transparents, portés sans soutien-gorge. Désormais, les mamelons sont plus libres que jamais, et font le tour du web à une vitesse et à un volume tels que l’émancipation semble aussi passer par la technologie.

Saint Laurent

De fait, on est officiellement entrés dans l’ère de la visibilité. On affiche nos moments intimes et nos sentiments en ligne. On se révèle au monde autant que celui-ci se révèle à nous; on consomme autant qu’on est consommés. Chaque jour, on parle, on partage, on aime et on se lie d’amitié avec des étrangers. On est de plus en plus conscients qu’on est toujours surveillés, quantifiés et monétisés par les caméras installées dans les lieux publics, de même que par celles de nos ordinateurs et de nos téléphones. Le monde numérique a fait de nous des exhibitionnistes, et dans cet espace en ligne, on appartient tous à tout le monde. Exposer son corps ne serait-il donc pas un acte d’abandon, voire une acceptation enthousiaste de notre statut public collectif, un moyen de rendre cette surveillance chic?

Cette idée d’hypervisibilité a été introduite en douceur lors des défilés automne-hiver 2023-2024, par les robes en cuir à fleur de peau de Mowalola ou les tenues créées par Ludovic de Saint Sernin pour Ann Demeulemeester, qui dévoilaient le ventre et la courbe des seins. Cette exposition était également omniprésente pendant les semaines de mode printemps-été 2024. Chez Gabriela Hearst et Coach, les robes en dentelle ou en maille cherchaient à peine à dissimuler les bikinis par-dessus lesquels elles étaient enfilées. Dion Lee a plutôt privilégié des looks aux découpes géométriques et au sex-appeal sportif. Chez Diesel, des minirobes dignes d’une fête techno étaient trouées de part en part, comme si quelqu’un ou quelque chose avait cherché à les dévorer. Pour son premier défilé pour Tom Ford, Peter Hawkings a conféré une aura de glamour à des robes longues qui exposaient tétons et culotte. Comme la saison dernière, Dolce & Gabbana a tout misé sur la lingerie. Christian Dior a ajouté du tulle et de la maille à des pièces diaphanes. Les robes blanches transparentes de Victoria Beckham étaient angéliques; celles de Chanel, noires évidemment, étaient surmontées de volants. La poitrine s’est également affichée chez Loewe et Mugler, tantôt par des robes polo, tantôt par des tenues d’androïdes. Le nouveau designer de Gucci, Sabato de Sarno, a proposé des minirobes en soie et en dentelle, et même Prada — au style éternellement virginal — a choisi de faire défiler des jupes transparentes.

L’hypervisibilité est à la fois joyeuse, forte et confiante. Elle jette la suspicion sur la dissimulation, la privatisation, l’accumulation d’informations… et la censure institutionnalisée, qui interdit de montrer des mamelons sur Instagram. D’une façon poétique, elle pourrait aussi suggérer qu’en tant qu’êtres humains connectés à l’extrême, le partage et la mise à nu sont encore ce qui nous unit le plus. Alors, lorsqu’on embrassera cette tendance sexy pour les fêtes de fin d’année, on n’oubliera pas ce qu’Yves Saint Laurent disait toujours: «Rien n’est plus beau qu’un corps nu.».

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