«Je n’ai jamais autant travaillé. Depuis le début de l’année, j’ai des séances photo deux ou trois fois par semaine», soutient la mannequin Marian Moneymaker avec le même enthousiasme qu’une ado. À 62 ans, elle n’est pas exactement une jeune pousse, mais sa spectaculaire chevelure argentée est plus en vogue que jamais. L’an dernier, elle était notamment de la campagne automne-hiver 2015-2016 de Miu Miu. Coiffure rétro, tailleur sévère, Marian, accompagnée de quatre jeunes mannequins, affichait une élégance intemporelle dans cette publicité réalisée à New York par Steven Meisel.

En cette fin février, elle est dans une chambre d’hôtel de Floride et vient tout juste de boucler une nouvelle séance de photos pour un client ultrasecret. Au cours des années 1980, Marian a porté son lot d’épaulettes et inhalé son quota de gouttelettes de Spray Net lors des défilés de la New York Fashion Week. Elle a notamment travaillé pour Donna Karan alors que cette dernière commençait à faire ses griffes. Après une longue pause, elle a repris du service une première fois il y a plus de 15 ans, avant d’effectuer un vrai retour il y a trois ans, au sein de l’agence new-yorkaise Iconic Focus. Il y a encore peu, Marian Moneymaker aurait été une excentricité. Une erreur de casting. Aujourd’hui, elle fait partie de cette nouvelle vague grise qui déferle sur la mode. Depuis quelques années, pas une saison ne passe sans qu’une nouvelle tête argentée fasse la une d’un magazine ou ne devienne le visage – un brin ridé – d’une marque de luxe.

Coup de pub

De Lanvin à Vuitton, en passant par Dolce&Gabbana, les grandes marques semblent s’être passé le mot. Même Tom Ford, l’un des apôtres du porno- chic, s’est reconverti dans la mamie-chic. C’est dire. En 2014, il a photographié pour l’une des couvertures les plus discutées de l’année, celle du magazine Numéro, la légendaire Pat Cleveland en minirobe miroir. Encore et toujours flamboyante à 61 ans, l’ex-muse d’Yves Saint Laurent y prouvait une fois de plus que la beauté n’est pas une question d’âge, mais d’état d’esprit (et de bons gènes!). La mannequin superstar des années 1970 séduit aujourd’hui des designers qui faisaient encore de la trottinette quand elle se déhanchait au Studio 54.

À plus de 80 ans, la top Carmen Dell’Orefice continue, elle aussi, de donner des leçons de glamour aux jeunes stylistes. De la couverture de Madame à des publicités pour Rolex ou Delvaux, la mannequin américaine n’est peut-être pas tout à fait une nouvelle it-girl, mais elle est assurément la nouvelle «it-mamie». Iris Apfel semble également avoir le don d’ubiquité. Sa silhouette et son style, à la fois uniques et inimitables, sont partout. Aussi bien dans la campagne printemps-été 2016 de Kate Spade que dans celle des bijoux d’Alexis Bittar. Et c’est sans parler du documentaire hyper «buzzé» qui lui a été récemment dédié!

«On le voit avec Jessica Lange pour Marc Jacobs ou Charlotte Rampling pour Nars: vieillir peut être sexy. […] Les baby-boomers sont en train de transformer le paysage. Et les marques voient le vieillissement d’une manière plus glamour. Ce n’est pas une mode, c’est un changement de paradigme»

Évidemment, nul besoin d’avoir un post-doc en études démographiques pour comprendre pourquoi les grandes marques et les publicitaires en pincent pour les rides. La population vieillit inexorablement; depuis 2015, le Canada compte officiellement plus de personnes âgées (65 ) que d’enfants (14-). Et la tendance devrait s’accélérer. En 2025, les séniors représenteront plus du quart de la population du pays. Autre point clé: les tempes grises ont un réel pouvoir d’achat. «Les baby-boomers ont les moyens», confirme Faith Popcorn, elle-même représentante de cette génération, auteure et gourou des tendances depuis plus de 40 ans. Elle est d’ailleurs convaincue que les nouveaux retraités sont en train de redéfinir l’image du troisième âge.
 

It-mamies

Crédit: Ari Seth Cohen pour le blogue Advanced.Style

«On le voit avec Jessica Lange pour Marc Jacobs ou Charlotte Rampling pour Nars: vieillir peut être sexy. […] Les baby-boomers sont en train de transformer le paysage. Et les marques voient le vieillissement d’une manière plus glamour. Ce n’est pas une mode, c’est un changement de paradigme», plaide-t-elle. Qui plus est, le discours ambiant a évolué. La génération qui grandit avec des emojis aux différents tons de peau et le mot-clic #beautybeyondsize (la beauté par-delà la taille) est bien plus encline à apprécier la diversité. Les jours des clones sur les passerelles des défilés sont peut-être comptés. «Les milléniaux sont la génération la plus diverse qui soit, et je pense que cela rend la « renaissance » des séniors universellement acceptée. La jeune génération en a marre de voir encore et toujours les mêmes modèles, et elle est prête à embrasser de nouveaux idéaux de beauté», poursuit Megan Routh, stratège et jeune collègue de Faith Popcorn.

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Comme le cinéma ou la musique, la mode n’est pas imperméable aux bouleversements de la pyramide des âges. Si James Bond peut (finalement) flasher sur une quinqua (Monica Bellucci dans Spectre) et si Iggy Pop peut électriser des ados dans des festivals, rien de plus normal à ce que les designers et les stylistes «glamourisent» quelque peu le fait de prendre des années au compteur.

Patty Sicular, qui gère la carrière de Marian Moneymaker, de Carmen Dell’Orefice et de Pat Cleveland (pour ne nommer que celles-ci), confirme que l’évolution est réelle. Elle est bien placée pour le savoir. Dès 1987, l’ex-V.-P. de l’agence Ford Models a commencé à se battre pour que de vraies femmes, et pas seulement des adolescentes prépubères, figurent dans les pages des magazines et dans les campagnes de pub. À l’époque, elle prêchait dans le désert. «Les gens me riaient au nez», se remémore-t-elle. Aujourd’hui, celle qui gère la carrière de plus de 70 mannequins au sein de la division Legends, de Trump Models et d’Iconic Focus, reconnaît que sa tâche est plus aisée. «Ce n’est pas nécessairement simple, mais c’est tout de même plus facile», nuance-t-elle.

«Les baby-boomers ne veulent pas avoir l’air flétri, fatigué. Ils s’habillent bien, ils mangent bien et ils veulent voir des personnes qui leur ressemblent dans les publicités. Nous ne sommes pas toutes des filles blondes de 17 ans.»

Éternellement stylées

«Les baby-boomers ne veulent pas avoir l’air flétri, fatigué. Ils s’habillent bien, ils mangent bien et ils veulent voir des personnes qui leur ressemblent dans les publicités. Nous ne sommes pas toutes des filles blondes de 17 ans», insiste Patty Sicular. La phrase qui revient le plus souvent dans sa bouche? «Les femmes peuvent être belles à tout âge.»
 

Tempes grises et style de feu

Ari Seth Cohen pour le blogue Advanced.Style

Sa protégée, Marian Moneymaker, abonde dans le même sens. À 62 ans, elle refuse de se teindre les cheveux, elle n’a jamais eu recours à la chirurgie plastique et elle est réellement rayonnante. «Je pense que les femmes aiment voir des femmes naturelles, qui prennent soin d’elles, qui s’alimentent bien, qui sont actives», dit-elle pour expliquer son actuelle popularité.

Assez ironiquement, l’un des principaux responsables de la «glamourisation» du troisième âge est un jeune Américain nommé Ari Seth Cohen. En 2008, il était dans la vingtaine lorsqu’il a lancé le blogue Advanced Style, prouvant au passage qu’âge d’or et lamé doré peuvent faire bon ménage. Comme The Sartorialist ou Man Repeller, Advanced Style est devenu culte pour certains mordus de la mode. Sa spécialité? Le street style de vieux. Lire: des photos d’anciens qui ont du style. Ce faisant, Ari Seth Cohen est devenu l’un des principaux ambassadeurs du papi-chic et de la mamie-chic.

À l’origine de son projet? Sa grand-mère. «Elle était ma meilleure amie, et j’ai toujours aimé les personnes âgées», précise-t-il. Après le décès de cette dernière, il s’est mis à photographier des New-Yorkais âgés aux looks sou- vent flamboyants. «En déménageant à New York, j’ai commencé à rencontrer toutes ces femmes âgées incroyablement inspirantes, et j’ai eu envie de les présenter aux jeunes de ma génération», explique-t-il. Rapidement, Advanced Style a connu un succès retentissant. Avec des expositions, des livres et des documentaires, son projet anodin s’est transformé en carrière. Ce mois-ci, il sort d’ailleurs un nouveau recueil de portraits, intitulé Older & Wiser (PowerHouse Books). Qui plus est, de nombreuses griffes se sont mises à le contacter, soit pour qu’il photographie certaines de ces femmes, soit pour qu’il leur déniche des modèles. C’est ainsi qu’en 2012, Ari Seth Cohen a mis en contact Lanvin et Jacquie Murdock. La photo de l’ex-ballerine de 82 ans – hyper élégante dans un ensemble émeraude de la marque – est d’ailleurs devenue quasi iconique cette année-là.

Le secret d’Ari Seth Cohen? Il embrasse complètement la personnalité des femmes et des hommes qu’il croque avec son appareil photo. Il sait laisser parler leur élégance, leur style, leurs rides et leur côté rock’n’roll. Et pas question de retoucher les clichés! «Ma grand-mère était pleine de rides, et, pour moi, c’était la chose la plus intéressante et la plus belle qui soit, parce que cela la rendait unique.» Si ce n’est pas la plus belle définition de la beauté, on ne sait pas ce que c’est…

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