Depuis l’automne dernier, une vague seventies déferle sur les podiums. Si la mode hivernale se réclamait du «bon chic bon genre», avec des chemisiers en soie et des pantalons à taille haute déclinés dans tous les tons de beige, le vestiaire de la belle saison est beaucoup plus ostentatoire. Les longues robes diaphanes, les jupes aux tissus orientaux et les combinaisons en satin coloré qu’on portera cet été sont toutes enveloppées de l’aura glamour propre aux années 1970.

Les tendances maquillage militent elles aussi en faveur de l’exubérance. Les camaïeux de taupe, qui caractérisaient l’allure bourgeoise cet hiver, cèdent maintenant la place à des fards aux coloris éclatés et au fini tapageur (laqué, satiné ou iridescent). Côté coiffure, les looks de la saison sont savamment bouclés, crêpés ou gonflés de façon à évoquer les crinières légendaires de Diana Ross ou de Farrah Fawcett. Le styliste Guido Paulo, qui a signé les coiffures des défilés Marc Jacobs, Louis Vuitton et Sonia Rykiel, résume l’esthétique des années 1970 en deux mots: raffinement et décadence. En attendant de voir (ou de revoir) Funky Town en DVD, on se plonge dans ce petit lexique de la décennie de tous les excès.

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Androgynie

L’invention du smoking féminin par Yves Saint Laurent en 1966, la révolution sexuelle amorcée en 1968, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail et la libération des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) bouleversent les codes vestimentaires. Quand il ne porte pas les cheveux longs et ne revêt pas une tunique fleurie, le mâle des années 1970 se maquille et se glisse dans un collant moulant à la façon de David Bowie. Quant aux femmes, elles sont de plus en plus nombreuses à se faire couper les cheveux et à enfiler chemisier, gilet et pantalon, suivant l’exemple de Diane Keaton dans le film Annie Hall, sorti en 1977. «À cette époque, je participais à des manifestations étudiantes pour le port du pantalon», se souvient Valerie Steele, la directrice du musée du Fashion Institute of Technology, à New York. En somme, c’est toute une génération qui remet en question les notions de masculinité et de féminité.

 

Bronzage

Les voyages ne sont plus un privilège réservé à l’élite. Globe-trotters et hippies partent à la découverte de cultures lointaines ou mettent le cap sur les plages ensoleillées. Avec sa silhouette athlétique et son teint cuivré, la bombe californienne est LA fille à imiter. Les poudres bronzantes, lancées deux décennies plus tôt, font fureur, tandis que l’autobronzant, commercialisé par Coppertone en 1960, envahit les rayons des cosmétiques, avec des formules toujours plus efficaces. Dans leur quête du hâle parfait, les femmes vont jusqu’à s’enduire d’huile végétale et à se munir d’écrans réflecteurs. En 1978, un scientifique invente le lit de bronzage. Évidemment, ce n’est que plus tard qu’on découvrira les risques liés à l’exposition aux rayons UV!

Crises

Les années 1960, marquées par les débuts de la guerre du Viêtnam, la Révolution culturelle en Chine, les révoltes étudiantes à Paris et, chez nous, la Révolution tranquille, débouchent sur une décennie tout aussi turbulente, qui comprend son lot de bouleversements politiques et sociaux. Le Québec applique la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970. De l’autre côté de la frontière, le scandale du Watergate et la poursuite de la guerre du Viêtnam causent le désabusement de la jeunesse américaine. Sur la scène internationale, la crise du pétrole crée de vives tensions politiques et provoque l’inflation. Partout, la récession s’installe et le chômage gangrène l’économie. Dans ce contexte, le radicalisme politique se propage et atteint les mouvements de libération noirs, homosexuels et féministes, ainsi que l’ensemble de la société.

Disco

Cette musique aux accents latins, funk, soul et électro naît au début des années 1970 dans les boîtes de nuit gays, latinos et afro-américaines. La paternité de ce courant revient au saxophoniste camerounais Manu Dibango qui enregistre, en 1972, Soul Makossa, considérée comme la première pièce disco. Ces airs dansants ne sont bientôt plus l’apanage du milieu underground et deviennent des succès commerciaux. En 1975, la chanteuse Donna Summer est sacrée Disco Queen au moment de la sortie de son tube suggestif Love to Love You Baby. Le mouvement culmine en 1977 avec le film Saturday Night Fever. Plus qu’une musique «sanctifiée» par des fêtards portant des combinaisons à paillettes et des chaussures à plateforme, le disco est d’abord une célébration de la diversité. «Il a permis aux gays, aux Noirs et aux Latinos de s’exprimer », explique Vince Aletti, journaliste et auteur de Disco Files, un ouvrage retraçant l’évolution de ce phénomène. «Ce courant prônait une culture tribale où tout le monde avait sa place.» Parallèlement, la coiffure afro s’impose comme le symbole de la fierté noire, tandis que les créoles, turbans et autres accessoires ethniques sont les stars de la garde-robe.

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Studio 54

C’est tout un pan de l’histoire des années 1970 qui s’est écrit au Studio 54. Cet ancien théâtre transformé en boîte de nuit et inauguré en 1977 accueille musiciens, artistes et acteurs, auxquels se mêlent de parfaits inconnus sélectionnés dans la file d’attente par Steve Rubell, l’un des propriétaires. Il ne laisse entrer que les gens très beaux, très excentriques et très sexys, leur ordonnant même parfois de se déshabiller devant la porte. Dans ce temple de l’hédonisme, les noctambules anonymes côtoient Andy Warhol, Roy Halston, Liza Minnelli, Bianca Jagger, Jerry Hall et autres abonnés. Célèbres ou non, tous les clients du Studio 54 ont un point en commun: un style incroyable. Selon un ancien habitué de l’établissement, l’illustrateur de mode Ruben Toledo (qui est aussi le mari de la designer Isabel Toledo!), cela est dû à un métissage d’influences jamais vu auparavant. Charmées par la sensualité latine, les femmes se hissent sur des talons hyper-hauts, laquent leur bouche de rouge et piquent des gardénias dans leurs cheveux, tandis que les hommes déboutonnent leur chemise. Des clubbers de toutes nationalités adoptent la coiffure afro, on danse chaussé de tongs et on s’autorise les plus folles associations vestimentaires. Au Studio 54, le maillot de bain se porte avec une parka de ski, et le bikini, avec un poncho… «C’est à cet endroit qu’on a commencé à photographier les gens simplement pour leur look», indique Ruben Toledo. Les vêtements servent de prétexte pour prendre la pose, mais le plus important, c’est qu’ils permettent de danser confortablement. «Tout ce qui comptait, c’était de danser», affirme l’illustrateur de mode. En effet, les tenues jouent plutôt un rôle secondaire dans cet antre de tous les plaisirs. Lors de la soirée d’ouverture de la boîte, une jeune femme avait d’ailleurs confié au quotidien Women’s Wear Daily: «J’ai perdu tous mes habits en entrant…»

Glam rock

C’est en Angleterre, au début des années 1970, que le glam rock, aussi appelé glitter rock, fait résonner ses premiers accords. Réaction ironique à l’innocence du mouvement hippie, il cautionne le travestissement et invente un univers futuriste inspiré de l’esthétique space age des années 1960. Le genre musical est porté par Marc Bolan, le chanteur du groupe T. Rex, qui électrise la scène avec ses cheveux longs, ses boas et ses imprimés léopard. L’artiste partage son goût pour les excentricités vestimentaires avec son ami David Bowie, dont le personnage Ziggy Stardust affectionne les costumes à paillettes et les chaussures à plateforme. Bowie pousse l’audace d’un cran en se colorant les cheveux en rouge et en dessinant parfois un cercle doré ou un zigzag sur son front. Les groupes Roxy Music et New York Dolls participent également à ce courant, qui influencera plus tard la formation Kiss et le chanteur Marilyn Manson.

 

Homosexualité

Jusqu’au milieu du 20e siècle, l’homosexualité est perçue comme une maladie psychiatrique, et ceux qui en «souffrent» sont souvent cruellement punis. Tout change avec les émeutes de Stonewall, survenues à New York en 1969. Une descente policière dans un bar gay du quartier Greenwich Village, le Stonewall Inn, déclenche une série de manifestations qui marquent le début du mouvement de libération LGBT. En 1973, l’Association de psychiatrie américaine cède à la pression et retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. La libération gay est célébrée sans pudeur dans les boîtes de nuit, où le mélange d’alcool et de drogues – cocaïne, méthaqualone (un sédatif aux effets relaxants) ou poppers (des stimulants sexuels) – favorise la promiscuité sexuelle. «Autrefois, les hommes n’avaient pas le droit de danser ensemble. Cet interdit a été aboli avec l’avènement du disco», constate le journaliste Vince Aletti. Cette musique qui, au départ, réunissait les communautés victimes de discrimination sur une même piste de danse est intrinsèquement liée au mouvement de libération homosexuelle.

Minimalisme

Après les tenues bariolées des hippies et les looks exubérants de la fièvre disco, la mode de la fin des années 1970 réintroduit les matières sobres et les silhouettes dépouillées, privilégiées par les créateurs américains Roy Halston et Calvin Klein. Les femmes, qui sont désormais sur le marché du travail, sont à la recherche de tenues simples et élégantes adaptées à leur mode de vie dynamique. Fluides, confortables et très sexys, ces créations réconcilient glamour et fonctionnalité. La modernité de ces vêtements séduit plusieurs VIP, dont Bianca Jagger, Liza Minnelli et Jackie Onassis, qui sont toutes de bonnes clientes de la griffe Halston.

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Shag

C’est le nom donné à cette coiffure bouffante au sommet de la tête et effilée sur les côtés qui, chez nous, héritera plus tard du surnom peu reluisant de «coupe Longueuil». Le coiffeur Paul McGregor a d’abord créé ce look pour le personnage de Jane Fonda dans le film Klute. C’est toutefois Farrah Fawcett, la vedette de la télésérie Charlie’s Angels, qui le fera passer à l’histoire. David Bowie et Rod Stewart adoptent eux aussi la fameuse coupe en dégradé. Le shag est unisexe. Mieux, il ne nécessite ni bigoudis ni fer à friser, marquant ainsi les débuts de la coupe laver-porter. Bientôt, le styliste John Sahag s’impose comme la star du shag, qu’il décline dans une foule de versions (coupé à sec, au rasoir, etc.).

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Sexe

La pilule contraceptive permet le contrôle des naissances, les drogues circulent, les moeurs se libèrent, et personne n’a encore entendu parler du sida. Autant de conditions favorables au règne d’une liberté sexuelle absolue. On s’adonne aux expérimentations les plus torrides, on s’initie à la bisexualité, on participe à des orgies, on commet des actes sexuels en public… Le sexe est pratiqué sans censure, et ce, même dans la bonne société. Il est d’ailleurs de notoriété publique que des mondaines, comme la New-Yorkaise Nan Kempner, s’offrent les faveurs des serveurs du Studio 54 ou de Chez Régine, la chic boîte de nuit parisienne…

Sadomasochisme

La culture porno émergente engendre l’apparition des clubs sadomasochistes et d’une nouvelle esthétique à la gloire du cuir, des talons «vertigineux» et des maquillages outranciers. On assiste à l’avènement d’un modèle de femme toute puissante. Moulée dans ses tenues «terroriste chic», comme on les appelle, cette amazone ultra-érotique est immortalisée par les photographes Helmut Newton, Chris von Wangenheim et Guy Bourdin. «Newton et von Wangenheim mettaient en scène une « dominatrix » tout droit sortie de l’imagerie S&M et fétichiste», explique Valerie Steele, du Fashion Institute of Technology. Bourdin, lui, explore plutôt les pulsions éros et thanatos.» L’érotisme et la mort se côtoient dans ses photos, où des filles archisexys semblent souvent inanimées. Ce sont d’ailleurs les muses de Guy Bourdin qui ont inspiré les maquillages intenses et les coiffures volumineuses du défilé printemps-été de Marc Jacobs.

 

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