Avec FT, vous avez inventé un langage télévisuel pour parler de mode. Vous étiez une pionnière en quelque sorte…

Oui, je l’avoue. Je travaillais en télé, un média qui à l’époque n’était pas considéré comme étant cool. J’étais là avec ma caméra et mon micro à essayer de glaner une entrevue ou la citation d’un rédacteur en chef, à côté des journalistes de magazines armés de leur bloc-notes. D’ailleurs, Anna Wintour [la rédactrice en chef de Vogue], une femme brillante pourtant, prenait la télé de haut. Dans les années 80, la télé n’était pas le vecteur important et respecté de la mode car, contrairement au magazine, elle ne privilégiait pas une approche analytique et approfondie d’un défilé, d’une pièce de haute couture ou d’une tendance… Or, la télé c’est l’instantané, le brut, le vif. Et j’ai foncé dans le tas! (rires)

Vous avez eu raison. Est-ce qu’une émission comme FT pourrait apporter quelque chose de neuf à la mode, aujourd’hui?

Non! (rires) Il ne faut jamais dire jamais mais on parlait d’une période très spécifique pour la télévision et la mode. C’était parfait pour cette époque et nous avons vécu une incroyable aventure durant 27 ans. Nous avons dévoilé les coulisses de la mode à une audience de masse, et nous avons peut-être contribué à démocratiser la mode, mais c’est du passé. De nos jours chacun est son propre producteur/commentateur télé et les possibilités autour de la vidéo sont infinies. La mode a perdu de sa magie.

Qu’est-ce qui vous fait dire une telle chose?

Tout a changé: la consommation, la distribution et l’accès à l’information. Ce qui compte, c’est d’être conscient de ce qui a été fait par le passé et d’aller de de l’avant.

Vous avez déjà déclaré vous être sentie comme une «imposteure». Pourquoi? Et après toutes ces années, avez-vous enfin le sentiment de faire partie de la «clique»?

C’est vrai, j’éprouvais un certain sentiment d’appartenance au milieu mais toujours teinté d’insécurité. Comme vous le savez, je suis Canadienne. Il n’y a rien de mal à ça mais je pense que l’élite du milieu de la mode internationale était ambivalent face à la relation entre la mode et le Canada. Cela dit, nous avons un grand pouvoir créatif et parce qu’on est un peu en marge du milieu, on peut ainsi l’aborder avec plus de lucidité. Ce qui est un plus à mon avis!

Portiez-vous systématiquement des créations de designers canadiens dans votre émission?

Oui, je le faisais religieusement! Je pense à Lida Baday, une griffe superbe, à Joeffer Caoc quand il était à la tête de Misura. Je pense aussi à Parachute, de Montréal, à Dean and Dan chez Ports 1961, et tant d’autres … Pour les grandes occasions, je portais aussi du Wayne Clark, le roi du glamour.

Si vous deviez résumer le style canadien?

Il est à la fois conservateur et fonctionnel (dans le bon sens du terme), mais aussi avant-gardiste et soigné, comme l’illustrent brillamment Marie Saint Pierre et Denis Gagnon.

Vous avez assisté à tant de défilés, y’en a-t-il un qui vous a particulièrement marquée?

Oui! Le défilé de prêt-à-porter printemps/été 1999 d’Alexander McQueen qui s’appelait l’Homme et la Machine m’a renversée. Imaginez: pour clore le show, la mannequin Shalom Harlow était posée sur une plaque en rotation et sa robe blanche était vaporisée de peinture par deux robots industriels. Ce fût un moment hors du temps pour moi. C’était à la fois stimulant, intelligent et poignant. Alexander McQueen était un véritable artiste de la mode, il la comprenait comme personne.

 

Y’en a-t-il un autre?

Tous les défilés de Ralph Rucci, un génie qui, selon moi, n’a jamais été reconnu à sa juste valeur m’ont éblouie. Ce designer est vénéré par les grands noms de la mode. C’est un esprit brillant doublé d’une belle âme et dont les défilés frôlent presque l’expérience mystique. On ne peut qu’être touché par la beauté qu’il crée. Il a souffert pour son art, par refus de l’exploiter sous une certaine forme. Il faut écouter et connaître son parcours pour le comprendre.

 

Vous avez dessiné une collection?

Non, non, non, je ne suis PAS designer. Je ne suis qu’éditrice. Je n’ai jamais rien dessiné ou imaginé de ma vie, je le souligne. J’ai trop de respect pour les créateurs. J’ai suivi le mouvement lorsque des célébrités se sont mises à lancer des lignes de vêtements en prétendant les concevoir, mais pour être un designer, il faut vraiment maîtriser l’aspect technique et artisanal de la confection d’un vêtement. J’ai effectivement une ligne vestimentaire que je vends sur une chaîne shopping et sur QVC au Royaume-Uni. J’ai grandi avec une mère qui faisait tous nos vêtements et j’ai développé un certain sens du style et de l’esthétique durant trois décennies. En vieillissant et en diversifiant mes tâches, je me suis dit qu’il serait sensé et sensible de partager ce que j’ai appris.

Pouvez-vous compléter ces trois phrases:

1- Je ne quitte jamais la maison sans … rouge à lèvres et lunettes de soleil.

2- Quelles sont les pièces que chaque femme devrait avoir dans sa garde-robe… Un bon fer à repasser – je déteste les plis (mes excuses à tous les fans de lin). N’importe quelle pièce en noir: une petite robe, un jean, des collants, un joli haut flatteur… Avec les bons accessoires et deux belles paires de chaussures, on peut aller n’importe où!

3- La chose à ne PAS faire lorsqu’on pose pour une photo… Se faire photographier sans flash car le secret, c’est la lumière.