Dans la chic suite new-yorkaise où se déroule notre entrevue, le très parisien Pierre Hardy est entouré de boîtes et de boîtes de vernis à ongles, de quelques chaussures de sa collection du printemps (géométriques, follement sexys) et d’un nuage de parfum singulier: une odeur à la fois charnelle et raffinée, étrange et hypnotique. Pas étonnant pour un homme qui carbure aux contrastes. Prenez la minicollection qu’il vient de signer pour la marque de cosmétiques Nars. Les vernis qu’il a imaginés sont disposés par paires, comme des chaussures: ici, un orangé fluo côtoie un marine violacé; là, un jaune blanchi complète un lavande acide. «Ces deux-là me faisaient penser à The Virgin Suicides, le film de Sofia Coppola, dit-il. En apparence, ce sont des couleurs tendres, fragiles… mais plus on les regarde, plus on sent qu’il y a un truc un peu tordu derrière. Quand je dessine une collection, je ne me raconte jamais une histoire; c’est lorsque je vois le produit final que ça me fait penser à un titre ou à un personnage. Forcément, quand on met deux choses ensemble, ça finit par créer une ambiance, un micro-récit.»

Lorsque Pierre Hardy entame ses ébauches, ce qui le préoccupe, c’est le jeu des formes, des couleurs, des volumes. Car, avant de devenir un des chausseurs les plus influents du gotha de la mode, il a étudié en arts plastiques. Il a aussi été danseur, illustrateur, prof de scénographie… Et puis, en 1988, le PDG de Dior lui a fait une offre qui ne se refuse pas: dessiner les chaussures de la célèbre maison française. Sa carrière en mode était lancée.

 

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Depuis, Pierre Hardy a imaginé des milliers d’escarpins, de mocassins, de bottillons et d’espadrilles pour le compte d’Hermès, de Balenciaga, de GAP (il a conçu pour cette chaîne quelques minicollections, devenues cultes) ou encore de sa propre marque éponyme, fondée en 1999. Ses stilettos évoquant des blocs Lego, ses sandales ornées d’une applique qui rappelle les gratteciels de Manhattan et ses talons compensés vertigineux ont fait date. Son nom ne s’accompagne peut-être pas de la même célébrité universelle que celui de Manolo Blahnik ou de Christian Louboutin, mais dans l’univers des accessoires, Pierre Hardy est une star.

Et dans la vraie vie, c’est précisément ce qu’il n’est pas. Grand, élancé, tête rasée et lunettes seventies, il est élégant et éminemment sympathique. Son passé de danseur lui a laissé un maintien parfait et une certaine idée des canons de la beauté: «Ça nourrit encore mon esthétique, parce que dans la danse, on apprend à aimer certaines images du corps, comme une jambe en extension sur une pointe. Je crois que, en un sens, j’essaie inconsciemment de recréer ce genre d’image, de la traduire dans une chaussure. D’où le talon aiguille… Dans notre culture occidentale, le ballet incarne un idéal d’élégance qui nous a tous construits. Il arrive qu’on se moque de cette élégance (c’est le cas des mouvements grunge et punk), mais ça fait partie de notre héritage.»

Outre la danse, ses références sont éclectiques. Elles sont souvent liées à l’architecture et à l’art contemporain (le collectif Memphis et Ettore Sotsass, Sol Le Witt, Brice Marden…). On devine la lointaine trace de ces influences dans les répétitions rythmiques de lignes et de couleurs sur ses modèles, dans la conjugaison de teintes primaires et les dessins cubiques qu’il applique parfois sur le cuir. Pour le reste, sa signature est singulière, reconnaissable au premier coup d’oeil. Depuis 25 ans qu’il dessine plusieurs collections par saison, Pierre Hardy n’est jamais épuisé, jamais essoufflé, jamais à court d’idées.

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À ce chapitre, il rend d’ailleurs hommage à la créativité radicale de son ex-collaborateur et ami de longue date Nicolas Ghesquière, remplacé depuis peu par Alexander Wang à la tête de Balenciaga: «Nicolas a l’art de vous amener là où vous ne seriez jamais allé seul. Travailler avec lui, c’est comme se retrouver dans un laboratoire: on met des éléments hybrides ensemble, on utilise des matières totalement improbables; bref, on fait tout pour créer une chose originale et nouvelle…»

Le seul moment où on le sent un peu amer, c’est lorsqu’il évoque les bouleversements qu’a connus la mode récemment, entre les arrivées, les départs, les retours et les échanges de designers à la tête des grands labels. «On a le sentiment que les créateurs sont devenus interchangeables. C’est un peu inquiétant pour les métiers de la mode. Que signifie être un designer maintenant? Est-ce encore quelqu’un qui va construire une identité de marque, apporter un regard nouveau, innover… ou est-ce une personne qui se contentera de remplir les portemanteaux dans les grands magasins?» Une chose est claire, Pierre Hardy appartient à la première catégorie.

 

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