Une belle, grande beauté noire, Gwen DeVoe, s’avance sur la passerelle. Vêtue d’une robe à bustier scintillante, l’organisatrice de la toute première Semaine de la mode taille forte de New York approche le micro de ses lèvres: «Ce soir, nous allons réécrire l’histoire!» lance-t-elle à la foule.

 

Réécrire l’histoire… Gwen serait-elle présomptueuse? Pas vraiment, si on se fie au tonnerre d’applaudissements qui accueille sa proclamation. Fébriles, excitées, pomponnées, les 400 spectatrices, assises en rangs serrés, attendent ce moment depuis des années. Elles n’ont pas l’intention de jouer les blasées.

 

La plupart des activités de la première Full Figured Fashion Week (FFFW) – ateliers de commercialisation, rencontres avec des acheteurs, réseautage, etc. – ont eu lieu dans des locaux modestes, mais le dernier et principal défilé se déroule dans une très chic salle de bal aux accents néoclassiques du centre de Manhattan, près du Flatiron District. «Ce soir, vous allez voir des pièces splendides portées par de vraies mannequins à taille forte, précise Gwen. Parce que la majorité des femmes sont faites comme ça!» Les dernières retardataires prennent place. «Est-ce que vous pouvez vous avancer un peu? On est grosses », s’excusent mes voisines en riant.

 

Le défilé s’ouvre sur des pièces sobres d’Ashley Stewart. Les robes de soirée noires, rehaussées de petites pierres, provoquent des applaudissements nourris, tandis que la quarantaine de modèles voluptueuses qui chaloupent sur la passerelle volent parfois la vedette aux vêtements. Blondes, brunes, noires, blanches… elles sont  de toutes les couleurs et de toutes les formes.

 

  PHOTO: Leda & St.Jacques (Reportage mode publié dans le magazine de juillet 2009 avec la mannequin Crystal Renn).





xxl-ash.jpgLes plus minces sont de taille 12; les plus fortes, de taille 24. Leur sex-appeal et leur assurance évoquent aussi bien Mae West que Queen Latifah. Plus elles sont rondes, plus elles se déhanchent, et plus la foule apprécie. Certaines robes ultrasexys de la marque torontoise Candi Apple Couture provoquent même des cris à faire friser le bob d’Anna Wintour, la papesse du
Vogue! Quand les filles défilent dans des maillots de bain blancs rehaussés de sequins argentés de Jewel Shannon, l’ambiance tourne au délire.

Pour les mannequins et les spectatrices, cet événement est plus qu’un défilé de mode: c’est la célébration d’une libération. Pour les designers, c’est une occasion rare de créer des vêtements sans avoir peur de mettre en valeur les courbes féminines. «C’est stupéfiant! C’est la première fois que j’assiste à un défilé de mode présentant des tailles fortes à la fois sexys, chics et avant-gardistes. C’est phénoménal», s’exclame avec un enthousiasme contagieux Lydia Moss, une Canadienne qui a fait le voyage depuis Saskatoon afin de dénicher des pièces pour la boutique A Bit More Hip, qu’elle compte ouvrir sous peu.

La designer Delali Osun Haligah partage son enthousiasme: elle ne cache pas que les trois jours de la FFFW comptent parmi les plus heureux de sa carrière, qui a débuté à l’aube des années 1980. «Pour moi, c’est comme arriver au sommet de l’Empire State Building! Il n’y a rien qui peut battre ça, explique-t-elle. Tout le monde rayonne, c’est merveilleux.» Delali Osun Haligah, dont les créations s’adressent aussi bien aux filles bien en chair qu’à celles tout en os, déplore depuis des années l’absence de mannequins tailles fortes dans les événements auxquels elle participe. «Il m’est arrivé de devoir me battre pour introduire des modèles de grande taille dans mes défilés. Ce n’est pas normal! Combien de femmes sont de taille zéro et mesurent six pieds?»

 

PHOTO: Ashley Stewart







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UN MARCHÉ COLOSSAL

En effet, les clones de la top polonaise Anja Rubik ne courent pas les rues. Un sondage du groupe britannique Mintel International réalisé en 2008 a révélé que la taille la plus commune aux États-Unis était 14. Les rondes représentent donc un marché colossal. D’après NPD Group, spécialiste américain des études de marché, elles dépensent plus de 22 milliards de dollars aux États-Unis et plus de 2,3 milliards de dollars au Canada en vêtements. Le hic? Elles ont encore bien de la difficulté à trouver autre chose que des tuniques trop amples et des robes trop fleuries.

Écoeurée d’être snobée par l’industrie de la mode, Gwen DeVoe, qui organise elle-même régulièrement des défilés partout aux États-Unis et qui forme des mannequins taille forte, a décidé d’organiser sa propre semaine de la mode alternative à New York, plaque tournante de la mode internationale. «J’y pensais depuis déjà cinq ans, dit la New-Yorkaise, mais je voulais être sûre d’avoir un public avant de me lancer.» Cette militante espère notamment que son événement fera comprendre aux designers que les femmes fortes peuvent également être fortes en mode.

Son message sera-t-il entendu? Seul le temps le dira. Une chose est certaine, le timing semble approprié. Au cours des derniers mois, des chaînes de magasins importantes, comme Forever 21 ou Target, se sont mises à proposer des collections taille forte pour des filles qui se décrivent elles-mêmes avec humour comme des «fatshionistas» (grosses fashionistas). De plus, en juillet dernier, la chaîne britannique Evans a dévoilé la toute première collection de Beth Ditto, icône XXL de la mode et chanteuse du coolissime groupe The Gossip. Ses créations sont à son image: elles ne font pas dans la demi-mesure. Les coupes sont rock and roll, et les imprimés, spectaculaires. Les fatshionistas avaient d’autant plus hâte de les voir que l’artiste – de taille 24 – les a imaginées parce qu’elle en avait ras le bol de ne pouvoir trouver des vêtements à son goût.

Heureuse de cette évolution, Johara Tucker, qui distille ses conseils mode sur le blogue LuvinMyCurves.com, nous dit: «Les filles rondes commencent à se montrer plus exigeantes à l’égard de l’industrie de la mode. Avant, elles prenaient ce qu’on leur offrait. Je pense qu’aujourd’hui, à l’instar des personnes minces, elles réclament davantage de vêtements de qualité qui ont du style. Je crois qu’il y a beaucoup de chemin à faire, mais que c’est un excellent début.» La blogueuse Marie Denee, alias The Curvy Fashionista, déplorequant à elle la «grossophobie» des médias et d’un grand nombre de designers. Si quelques magazines (dont ELLE QUÉBEC) ont commencé à requérir les services de modèles bien en chair comme Crystal Renn, la grande majorité sont encore réfractaires à l’idée de montrer des courbes dans leurs pages.

Les représentants des publications mode ne se bousculaient d’ailleurs pas au défilé de clôture de la première Semaine de la mode taille forte. Couvert par des médias de renom comme NBC ou Newsweek, il a néanmoins été largement boudé par les magazines qui font la pluie et le beau temps sur la planète fashion. «Je pense qu’ils ont préféré observer de loin parce qu’ils ne savaient pas si ce serait un événement de qualité ou non, croit Gwen DeVoe. Mais j’ai bon espoir qu’ils seront là la prochaine fois.»










RONDES ET CÉLÈBRES

Style et beauté riment-ils toujours avec minceur? Pas forcément… Six vedettes voluptueuses qui ont du chien en font la preuve.

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VELVET D’AMOUR

Épuisée de s’affamer et de boire des litres d’eau pour ne pas grossir, la mannequin américaine a décidé de s’accepter telle qu’elle était. Depuis, elle a défilé pour Jean Paul Gaultier et John Galliano, et affirme que «s’aimer comme on est, c’est le plus beau des cadeaux».

 

 

KATE DILLON

Mannequin anorexique devenue mannequin taille forte, Kate Dillon ne cesse de dénoncer les dangers des troubles alimentaires.

 

 

 

CRYSTAL RENN

Reconnaissable entre toutes pour sa beauté, la star de notre reportage mode de juillet 2009 réussit à faire une carrière sans être étiquetée «taille forte».

 

KELLY OSBOURNE

Avec son look branché et ses tenues originales, la fille d’Ozzy Osbourne représente un modèle de rock, de mode et de courbes attitude.

 

MIA TYLER

Impossible de parler de mannequins taille forte sans citer la sublime Mia Tyler, égérie de la marque MxM et demi-soeur de l’actrice Liv Tyler.

 

xxl-dahl.jpgSOPHIE DAHL

Les courbes voluptueuses et le visage de madonne de cette top britannique ont fait rêver plus d’un designer dans les années 1990. Jusqu’à Yves Saint Laurent qui l’a immortalisée allongée, nue, sur un drap de soie, dans la pub du parfum Opium.