Elle a des airs de Sicilienne et une silhouette toute délicate vêtue cette journée-là d’un pantalon et d’un haut à basques en dentelle ajourée (un ensemble dessiné par elle-même, cela va sans dire). Élégante, réfléchie, elle ne se départit cependant pas d’une certaine aura de mystère et préfère discuter de sa philosophie de la mode plutôt que de sa vie personnelle. En cela comme en d’autres choses, Catherine Malandrino est très femme, de cette féminité européenne, un peu à l’ancienne qui s’accompagne de raffinement et de séduction.

Née à Grenoble, elle a depuis longtemps élu domicile à New York, où elle a d’abord travaillé pour Diane von Furstenberg avant de fonder sa propre marque. Pour sa première collection, elle a eu la chance – ou l’intuition – d’imaginer une robe qui acquerrait un statut iconique: une création aérienne en soie dont l’imprimé représentait le drapeau américain redessiné. Quelques mois plus tard, deux avions frappaient le World Trade Center, et tout article évoquant de près ou de loin la bannière étoilée devenait hautement convoité. «Cette robe m’a littéralement mise sur la scène, se rappelle-t-elle. Elle a été portée par toutes les femmes qui voulaient parler de liberté et de résilience après les attentats. C’est devenu tout un symbole!»

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Aujourd’hui, ce symbole trône près de la vitrine dans sa rutilante boutique rue Sherbrooke, inaugurée en novembre dernier. Pour sa première incursion en sol canadien, Catherine Malandrino est heureuse de se trouver à Montréal. Une ville qui, selon elle, «tient un peu de Paris et de New York, mais à échelle humaine». C’est là que nous l’avons rencontrée et où elle a pris le temps d’échanger avec nous sur sa philosophie de la mode, son amour des robes et sa vision de la féminité.

 

Découvrez quelques modèles issus du lookbook printemps-été 2014 de la collection signée Catherine Malandrino

Quelle pièce constitue selon vous la base d’une garde-robe?

Tout d’abord, la robe. J’adore l’idée de porter un morceau unique qui permet de passer du travail à une soirée sans rien changer, sauf peut-être quelques accessoires. Les femmes ont assez de choses à régler au quotidien sans devoir en plus se casser la tête à propos de ce qu’elles vont mettre! J’aime aussi la combinaison-pantalon pour la même raison: il s’agit d’une seule pièce très féminine, très élégante, mais qui possède également un côté effortless. Une robe ou une combinaison-pantalon, ça n’engonce pas; ce sont des vêtements tout en légèreté qui flottent sur le corps. D’ailleurs, je préfère la courbe à l’angle. Voilà pourquoi je n’apprécie pas les créations architecturales: je n’ai pas envie de mettre les femmes en boîte.

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Quelles sont vos icônes mode?

Des femmes comme Catherine Deneuve ou Jane Fonda, qui ont toujours été des symboles d’élégance. Elles restent elles-mêmes quoi qu’elles portent. Personnellement, je n’aime pas quand les femmes deviennent des victimes de la mode. Au contraire. Je souhaite qu’elles puissent se réaliser et s’exprimer à travers le vêtement. C’est la raison pour laquelle je prise les coupes très simples, mais justes. Après, j’ajoute des détails qui permettent de mettre en valeur la sensualité féminine: ici, une matière transparente se veut une fenêtre ouverte sur la peau, là, un cuir est travaillé comme une pièce de dentelle…

À quel moment avez-vous eu envie de devenir créatrice de mode?

Je devais avoir 10 ans. Je vivais à Grenoble, en France. Je regardais les femmes autour de moi, et je me rappelle avoir pensé qu’on pouvait toutes les rendre plus séduisantes. Déjà, je ne voyais pas la réalité telle qu’elle apparaissait, mais un fantasme, un rêve de glamour.

Au début, je dessinais des tenues de ski auxquelles je tentais d’insuffler à la fois force et féminité. Puis, vers 13-14 ans, je me suis mise à réaliser mes propres vêtements. La couture m’est venue naturellement, par le chinage. J’avais coutume de démonter les morceaux que je trouvais pour comprendre comment ils étaient faits et assemblés. Une fois que j’ai commencé à confectionner ma garde-robe, j’ai senti le regard des gens changer. Tout d’un coup, on me voyait différemment. On m’accordait plus d’attention. On m’écoutait davantage. Grâce à mes vêtements, je devenais «mémorable».

Cette idée de marquer les mémoires vous importe-t-elle?

Oui. La perspective de ne pas être oubliée séduit beaucoup de femmes. On a toutes envie de laisser une trace de notre passage, comme un sillage de parfum qui subsiste après notre départ. C’est ce que je désire offrir aux femmes: des pièces qui les rendent uniques. Je ne veux pas créer des morceaux d’armure, qui protègent et isolent les gens. Je tente tout au contraire d’imaginer des vêtements qui invitent au dialogue, au contact, à une certaine forme de séduction…

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Avant de fonder votre propre griffe, vous avez travaillé pour Diane von Furstenberg. Que vous a-t-elle appris?

Je suis entrée dans son équipe à un moment où il fallait renouveler la marque; alors je me rappelle avoir beaucoup échangé avec elle au sujet de son parcours d’icône de la mode. J’admire la force qu’elle a eue de se réinventer à ce point. Et puis, je partage avec elle une certaine philosophie du vêtement: pour moi comme pour elle, il doit posséder un côté insouciant, simple, naturel. Il doit constituer une extension de soi et non pas quelque chose d’intimidant. Voilà ce qui différencie notre époque des précédentes: nous entretenons avec ce que nous portons un nouveau rapport de proximité. Aujourd’hui, l’objectif ne consiste plus à transformer les femmes par la mode, mais à leur offrir des pièces dans lesquelles elles peuvent bouger, travailler, sortir… vivre!

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