Caroline ne s’est pas encore remise de sa surprise. L’été dernier, elle a découvert que sa fille de 15 ans s’était offert une épilation intégrale du maillot. Lorsqu’elle a interrogé son ado, celle-ci lui a répondu: «Les poils, c’est sale; je voulais être propre.» Quant à Margot, une autre jeune fille de 13 ans et demi, elle fait une fixation sur les poils. Sa mère n’en revient pas: «Elle s’épile complètement les jambes, les aisselles, les avant-bras et, maintenant, elle veut s’attaquer au maillot… Le tout alors qu’elle est blonde!»

Pour les moins de 20 ans, l’esthétiquement correct, c’est désormais le glabre. «Si vous voulez être désirable, épilez-vous!» est le slogan de la nouvelle génération, filles et garçons confondus.

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À 22 ans, Lola n’a pas confiance en elle. «J’avais 15 ans lorsque j’ai fait l’amour pour la première fois. Mon copain m’a fait un cunnilingus, puis m’a déclaré qu’il avait eu l’impression d’embrasser un vieux chien mouillé. Ça m’a bloquée. Maintenant, il faut que je sois parfaitement épilée avant de faire l’amour.»

 

 

 

 

 

Cas isolé? Malheureusement, non. En 2013, pour exciter un (jeune) homme, il faut avoir une anatomie intime lisse et douce. Les esthéticiennes confirment que, si les quinquagénaires épilent ce qui dépasse, les quadras et les trentenaires ont adopté le maillot brésilien, quand ce n’est pas le «billet de métro». Les «vingtenaires», elles, optent pour l’épilation intégrale. Dans les instituts, certaines pros reconnaissent qu’elles éprouvent un malaise quand des jeunes filles de 12 ou 13 ans viennent faire arracher leur premier duvet…

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Aux États-Unis, 20 % des étudiantes de 18 à 24 ans auraient le pubis complètement nu! Les poils pubiens – signe de maturité sexuelle de la femme, tout comme les seins – n’ont plus leur place sur le corps des plus jeunes. Au Québec, d’après plusieurs experts interrogés, la vente de kits d’épilation à la cire explose. En France, une enquête réalisée il y a quelques années montre que plus de 75 % des Françaises de moins de 26 ans s’épilent le maillot. Dans son ouvrage Défense du poil – Contre la dictature de l’épilation intime, Stéphane Rose commente ce tsunami dépilatoire. «D’après moi, la disparition de la pilosité féminine est due à la pornographie omniprésente, au culte de la jeunesse, à l’hygiénisme rampant et à la pression de l’industrie cosmétique. Le résultat, c’est que l’épilation intime n’est plus un choix. L’infantilisation symbolique est obligatoire.»

La faute au porno?

Premier coupable désigné: l’industrie pornographique. Les jeunes qui ont aujourd’hui 20 ans ont grandi sous un flot d’images véhiculées par Internet, qui présentent le corps féminin idéal comme un objet lisse, à gros seins, sans rides et sans poils. «Parti de Californie dans les années 1980 en réaction au sida, ce modèle hygiéniste répondait à l’impératif du « voir toujours plus, toujours mieux ». Progressivement, ce corps idéalisé est devenu la norme», explique Olivier Ghis, rédacteur en chef de l’émission française le Journal du hard, à Canal . Ce corps stéréotypé, effaçant la frontière entre l’enfance et l’âge adulte, a envahi la rue dans les années 1990, parallèlement à la mode des strings nécessitant une épilation radicale. Pour Bernard Andrieu, philosophe du corps, c’est «la pornographie qui a fait que le sexe devait être visible pour être désirable. Autrefois, les fesses représentaient l’érotisme ultime. Aujourd’hui, c’est le sexe féminin dénudé. Pour les jeunes, un corps épilé est plus acceptable; il est neutralisé, indifférencié.»

Les jeunes femmes se préfèrent plus nues que nues, quand elles ne s’appliquent pas à mettre en scène cette nudité grâce à des épilations personnalisées («Faire le A d’Antoine à la pince à épiler, c’est pas de la tarte», concède Louisa, 19 ans) ou à des œuvres d’art, comme le veut la folie du vajazzling (on crée des motifs sur le pubis avec des cristaux).

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Ultra-érotiques au 19e siècle, les sexes touffus se font de plus en plus rares, au point de former une catégorie à part entière sur des plateformes comme YouPorn! Pourquoi les femmes en sont-elles arrivées là? D’abord pour être «belles et vraiment femmes», puis pour se conformer au désir des hommes.

Comme l’avoue Côme, un jeune homme de 22 ans, «une fille qui s’épile, c’est une fille qui prend soin d’elle. Un sexe nu, ça m’excite vraiment. La première fois que j’ai vu du poil sur un sexe, j’avais 20 ans et j’ai eu peur!» Un point de vue partagé par Hugo, 26 ans: «Ça m’est arrivé de quitter une fille poilue. Quand le sexe est épilé, c’est super doux et on voit mieux ce qu’on fait. Les poils, c’est une affaire de vieilles.»

Reste qu’être douce à 100 %, c’est impossible. Quelle que soit la méthode, ça repousse, ça gratte et ça pique. Et ça rend «hors circuit». «Quand je suis entre deux épilations, c’est comme quand j’ai mes règles. Je refuse de faire l’amour», dit Lola.

La résistance des poilus

Face à cette phobie, la défense s’organise. Certaines stars osent l’aisselle velue, comme Julia Roberts, Juliette Lewis, Beth Ditto, Asia Argento, Milla Jovovich ou Laetitia Casta, qui a exhibé une toison fournie dans le film Le grand appartement. Certaines vont plus loin, comme Emer O’Toole, journaliste britannique qui a défrayé la chronique après 18 mois de grève du rasoir. Elle a expliqué avoir voulu faire une pause. Son verdict? «Je ne sens pas plus fort, les gars ne se sont pas enfuis, je ne suis pas moins femme.» La stand-up comic britannique d’origine pakistanaise Shazia Mirza, elle, a organisé un défilé de lingerie avec des femmes non épilées!

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Autrefois, laisser sa pilosité en friche rimait avec Peace and Love. Aujourd’hui, les militantes de la PF (pilosité féminine) ne voient pas les choses de la même façon. Ce sont des femmes (sur)actives qui ont peu de temps, des militantes écolos, des féministes, des adeptes d’un érotisme à l’ancienne… Laurie, 30 ans, est de celles-là. «On entend souvent dire que le poil, c’est laid, c’est sale. Mais c’est faux! Vous trouvez ça beau, vous, un sexe nu avec juste une fente? Et, côté odeurs, je n’ai rien à signaler.»

 

Le retour du poil annoncé?

Les médecins confirment que s’épiler pour des raisons hygiéniques est un non-sens. Les poils démultiplient les sensations, régulent la transpiration et la température, et sont porteurs de parfums spécifiques, les phéromones. Leur arrachage entraîne celui des glandes sébacées, ainsi qu’un assèchement de la peau. C’est douloureux, ça produit des inflammations et des poils incarnés. Mais le pire, c’est que ça fragilise les muqueuses et favorise ainsi les infections à levures et les cystites. «Après ma sixième infection à levures en un an, ma gynéco m’a ordonné d’arrêter de m’épiler intégralement», confie Anna, 23 ans.

Ce frémissement pileux va-t-il prendre de l’ampleur? «Oui, affirme Olivier Ghis. En ce moment, ce qui fait un tabac dans le porno, c’est le retour au naturel. Wasteland, le film X qui a raflé tous les prix en 2012, met en scène des filles non refaites, avec des seins naturels et des poils. Quant à Sasha Grey, la nouvelle star absolue du film pour adultes, elle joue avec ou sans poils.»

Explosion du bio, fin du string, mode des grandes culottes… Dans les années qui viennent, on va peut-être voir revenir les poils. Entre la plaine déserte et la forêt boréale, il y a l’art du jardin bien entretenu. Celles qui ont opté pour l’épilation laser intégrale vont peut-être le regretter. Quant aux autres, elles pourront dire: «Nous avons gagné la bataille!»

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