L’aventure commence en 1921, au moment où Coco Chanel règne sans partage sur la mode parisienne. La créatrice visionnaire, au style inimitable, a alors l’audacieuse idée de lancer un parfum. Un projet insolite puisque, à cette époque, la mode et la parfumerie sont deux mondes très distincts. Sa rencontre avec Ernest Beaux, ancien parfumeur de la cour du tsar de Russie, viendra sceller la genèse du N°5. Le parfum au sillage unique devient rapidement numéro un dans le monde. En plus de son arôme singulier, il se distingue par son nom, qui est en parfaite opposition avec le lyrisme en vogue, et par son flacon épuré, à l’élégance intemporelle. Et il entre dans la légende en 1954 lorsqu’un journaliste demande à Marilyn Monroe ce qu’elle porte pour dormir et qu’elle lui répond: « Juste quelques gouttes de N°5. »

PARFUM D’EXCEPTION
En rupture avec les soliflores de l’époque (des parfums composés d’une seule fleur), cette fragrance mythique propose une architecture révolutionnaire. Le N°5 se déploie sans note dominante, distillant une richesse florale voluptueuse avec pas moins de 80 éléments dont la puissance est démultipliée par une audacieuse surdose d’aldéhydes. Ce mariage entre les corps synthétiques et les ingrédients naturels imposera un vocabulaire résolument nouveau en parfumerie. Au coeur du N°5, des matières premières naturelles d’exception (ylang ylang, jasmin et néroli de Grasse), mais aussi un éclatant bouquet de roses de mai.

UN JARDIN EN PROVENCE
Renommée pour son pouvoir olfactif extraordinaire et pour l’extrême délicatesse de son sillage, la rose de mai ne fleurit qu’une fois l’an, pendant trois courtes semaines. Elle est cueillie à la main, dès l’aube, par des travailleuses originaires de la région de Calabre, en Italie, ou du Maroc, qui sont spécialement formées pour cette tâche délicate (il faut plus d’une tonne de roses pour obtenir 1,5 kg d’absolu). Une fois la récolte terminée, les roses sont transformées sur place dans une usine d’extraction aménagée dans les champs de la famille Mul. « C’est ce qui permet aux fleurs de conserver tout leur pouvoir olfactif », confie Joseph Mul. Comme la rose de mai et le jasmin de Grasse sont des ingrédients indispensables pour composer l’extrait du N°5, la maison Chanel a conclu, dans les années 80, un partenariat d’exclusivité avec les Mul, producteurs de fleurs depuis cinq générations à Grasse. Une collaboration exceptionnelle qui permet d’assurer la pérennité de ces fleurs emblématiques, tout en sauvegardant l’irremplaçable savoir-faire des artisans grassois.

Photo: Michael Ochs Archives/Getty Images

 

 

LE GARDIEN DE LA MÉMOIRE
Parfumeur exclusif chez Chanel, Jacques Polge est le garant de la qualité des créations olfactives de la maison. Depuis son arrivée, en 1978, il a su préserver la magie des compositions Chanel et imaginer de nouvelles références comme Coco,Allure, Chance et Les exclusifs. Il supervise aussi toutes les étapes de fabrication du célèbre N°5 et approuve chacun des ingrédients qui entrent dans sa composition. En 1986, il a créé l’Eau de parfum N°5, une réécriture contemporaine de la fragrance d’origine. Il refait l’exercice cette année en proposant Eau première, une version plus florale, plus fraîche et plus éthérée du N°5. Rencontre.

Quel était le principal défi dans l’écriture d’Eau première?
Dès qu’on touche au N°5, il faut être extrêmement vigilant parce que c’est un parfum unique. Dans ce cas, il fallait s’assurer de préserver l’odeur du N°5, tout en accentuant son côté plus fleuri, plus transparent et plus facile à porter au quotidien.

Comment définissez-vous la signature des parfums Chanel?
Chanel, c’est le contraire de la parfumerie figurative. Tous nos parfums possèdent un certain degré d’abstraction et de mystère. Mademoiselle Chanel avait un énorme instinct pour les parfums. Selon moi, c’est elle le véritable créateur du N°5.

Qu’est-ce qu’un parfum féminin aujourd’hui?
Je crois que la féminité a beaucoup évolué et ne se traduit plus uniquement par les fleurs. Chaque fois que j’introduis un élément masculin dans un parfum, c’est pour en accentuer la féminité. Généralement, je préfère travailler sur des effluves féminins car j’ai une plus grande liberté, les femmes étant moins conformistes que les hommes.

LES ÉGÉRIES DU N°5
En 1937, Coco Chanel devenait la première ambassadrice du N°5 dans une campagne de presse pour le Harper’s Bazaar. Puis, au fil du temps, les plus belles femmes du monde se sont succédé pour représenter l’image de marque de la fameuse fragrance. Marilyn Monroe, Lauren Hutton, Ali MacGraw, Catherine Deneuve, Carole Bouquet et Nicole Kidman ont toutes incarné devant les plus grands photographes l’univers mythique de ce parfum. Aujourd’hui, Audrey Tautou en est la nouvelle égérie. De plus, l’actrice française interprétera cette année le rôle de Mademoiselle Chanel dans un des films qui lui seront consacrés.