Comme dirait Hamlet, « recycler ou ne pas recycler, telle est la question.» Du moins, on se l’est tous posée, debout au milieu de la cuisine, un flacon de sérum vide à la main. Voyons voir… La bouteille est en verre, mais la pompe est en plastique, et le ressort à l’intérieur est en métal. Dans le doute, on balance le tout dans le bac de recyclage. Et voilà, on a fait notre part pour être une citoyenne responsable, pas vrai? Hélas, ce n’est pas si simple. (Même si on a pris le temps de rincer la bouteille.) 

«On appelle ça le “recyclage à l’aveuglette” — et tout le monde le fait», dit Melodie Reynolds, fondatrice d’Elate Beauty, une marque de cosmétiques fabriqués de façon éthique qui propose un programme de recyclage postal. Le problème, c’est que les centres de tri sont des entreprises à but lucratif. Leur objectif n’est pas de sauver la planète, mais de maximiser les profits qu’ils peuvent tirer de notre bac vert. Tout ce qui ralentit le processus est donc jeté à la poubelle. 

Revenons au flacon de sérum, par exemple. Techniquement, c’est vrai que le verre, le plastique et le métal sont recyclables, mais beaucoup d’installations n’acceptent pas les matières mixtes (les pratiques varient fortement d’une municipalité à l’autre), parce qu’elles jugent que d’en séparer les composants n’en vaut pas le coup. Et si elles le font, il se peut qu’elles décrètent que le type de plastique utilisé pour la pompe n’a pas assez de valeur, si bien que ce composant prendra quand même le chemin du dépotoir.

Comme le rapporte la campagne Zero Waste Week, l’industrie mondiale de la beauté produit 120 milliards d’unités d’emballage par année, et la plupart de ces unités ne sont pas recyclables. Un nombre grandissant de consommateurs exigent des options plus écologiques, et les marques s’efforcent de réduire leur impact environnemental au moyen d’initiatives comme des programmes de recyclage dans les magasins et par la poste, ou encore en fabriquant des produits rechargeables ou solides. Mais pour le commun des mortels, faire des choix écoresponsables demeure un défi. Selon une étude réalisée en 2022 par Mintel, 83 % des Canadiens affirment avoir du mal à savoir quelle est l’option la plus durable. De plus, pas moins de 35 % disent ne pas tenir compte, la plupart du temps, des messages sur le développement durable. Pourquoi? À cause des stratégies d’écoblanchiment des entreprises et des idées fausses qui circulent sur ce qui est vraiment recyclé dans les centres de tri. Afin de lever le voile sur la question du recyclage et d’aller au fond du bac vert une fois pour toutes, nous avons interrogé des leaders de l’industrie.

« La règle d’or est de respecter les trois R : Réduire, Réutiliser, Recycler — dans cet ordre. La meilleure chose qu’on puisse faire pour la planète est de consommer moins et de réduire l’emballage. » — Katherine Pazakis

L’avenue la plus durable

Vous l’aurez deviné : l’avenue la plus durable, c’est de réduire sa consommation. «Nos trousses à maquillage sont remplies d’achats impulsifs», constate Melodie Reynolds. Les marques de cosmétiques cherchent à nous faire sentir qu’il nous manque quelque chose pour que nous achetions leurs articles. Ces tactiques sont à la source du cycle de surconsommation.» Katherine Pazakis en sait quelque chose. Avant d’être directrice commerciale de TerraCycle, une entreprise spécialisée dans le recyclage des matières qui sont normalement mises au rebut, elle a travaillé dans le secteur de la beauté pendant près de 10 ans et a notamment occupé des postes de direction chez Estée Lauder et Glossier. Son conseil pour agir de façon plus verte? «La règle d’or est de respecter les trois R: réduire, réutiliser, recycler — dans cet ordre. La meilleure chose qu’on puisse faire pour la planète est de consommer moins et de réduire l’emballage.»

PRODUITS SOLIDES 

LES POUR

Les produits solides éliminent souvent complètement la nécessité de l’emballage, ce qui est «la meilleure avenue en matière de réduction des déchets dans l’industrie de la beauté», dit Katherine Pazakis. Leur fabrication requiert moins d’eau et ils se transportent plus facilement que les produits vendus sous forme liquide. 

LES CONTRE

Les consommateurs sont moins portés à choisir des produits solides (comme des barres de shampooing), car cette décision implique un changement dans leurs habitudes. Par ailleurs, de nombreuses grandes entreprises sont réticentes à changer leur modèle d’affaires, selon Lisa Karandat, cofondatrice de Good Juju, une marque de produits solides entièrement naturels et zéro déchet. «Les grandes bannières ne seront pas enclines à dire adieu aux bouteilles en plastique tant que les plus petits joueurs n’auront pas démontré que c’est plus qu’une simple tendance.» 

FORMATS RECHARGEABLES 

LES POUR 

Les formats rechargeables permettent de réduire l’utilisation de plastiques à usage unique, car une fois le contenant vide, on peut de nouveau le remplir; donc, on ne jette pas l’ensemble de l’emballage. 

LES CONTRE 

L’emballage des recharges a aussi son importance. «Ce n’est pas parce qu’on offre une bouteille rechargeable en plastique que c’est nécessairement une option plus durable», prévient Sarah King, responsable de la campagne sur les océans et les plastiques pour Greenpeace Canada. Katherine Pazakis est du même avis. «L’idée n’est pas de créer deux emballages.» Assurez-vous que le produit est livré dans un emballage minimaliste et recyclable. C’est encore mieux si vous pouvez faire remplir votre contenant vide au magasin. C’est aussi important de penser à la fin de vie de l’article. Certains produits rechargeables comportent des aimants, qui ne sont pas facilement recyclables.

EMBALLAGES COMPOSTABLES 

LES POUR 

Ces emballages se décomposent en eau, en biomasse et en dioxyde de carbone de 90 à 180 jours après avoir été jetés. 

LES CONTRE 

«Les emballages compostables constituent tout de même une forme d’emballage à usage unique. Ils ne doivent donc être envisagés que si on ne peut se procurer un format réutilisable ou qu’on ne peut se passer d’emballage», fait valoir Sarah King, qui ajoute que «de nombreuses municipalités au Canada ne sont pas équipées pour traiter de grandes quantités d’emballages compostables». Advenant qu’elles le soient, les entreprises de compostage veulent-elles vraiment de ces rebuts cosmétiques? «Ces produits prennent généralement plus de temps à se décomposer que les matières organiques, précise Katherine Pazakis. Ils dévalorisent aussi le compost parce qu’ils n’ont aucune valeur nutritive. Et si vous les jetez à la poubelle, ils ne se transformeront pas en compost. Les plastiques biodégradables et les produits compostables ont besoin de certaines conditions — comme de la lumière, de l’air et de la matière organique — pour se décomposer.»

CONTENANTS RECYCLABLES 

LES POUR 

Les contenants recyclables sont préférables aux formats destinés aux sites d’enfouissement ou à l’incinération. «Le recyclage préserve les molécules des matières vierges et les maintient en circulation plus longtemps», dit Katherine Pazakis. 

LES CONTRE

Comme mentionné précédemment, la plupart des produits de beauté sont fabriqués à partir de plusieurs matières. Par exemple, un flacon de lotion pour le corps peut être en PET (polyethylene terephthalate), et la pompe, contenir un ressort en métal et différents types de plastiques qui doivent être séparés ou qui ne sont pas recyclables du tout. «Les emballages multicouches sont généralement envoyés au dépotoir ou brûlés, indique Sarah King. Autrement, une partie des matières est recyclée, et le reste est jeté.» Pour savoir comment disposer adéquatement de nos contenants vides, on vérifie ce qui est mentionné sur les étiquettes de ces produits et le site web de la marque. 

MATIÈRES 101 

+ L’aluminium est considéré comme une ressource de grande valeur pour le recyclage. Parce qu’il est léger et qu’il ne rouille pas, il est convoité par les centres de tri, qui peuvent en tirer profit. 

+ Il en va de même pour le verre dans certaines municipalités. Comme il est généralement facile à assainir, c’est un excellent choix, mais ce ne sont pas toutes les municipalités qui le recyclent. 

+ En théorie, le carton est une matière hautement recyclable. Toutefois, de nombreux établissements ne recyclent pas le papier ou le carton souillé ou gras ni le papier ciré. Et malheureusement, la majeure partie de la production mondiale de papier et de carton se fait encore à partir de fibres vierges, ce qui contribue à la déforestation. 

+ Place à un gros morceau: le plastique. Au Canada, on jette environ 3,3 millions de tonnes de plastique chaque année (soit le poids d’environ 25 tours du CN). De ce nombre, seulement 9 % sont recyclés, selon une étude de 2019 commandée par Environnement et Changement climatique Canada. Et de l’avis de Sarah King, ce qui est recyclé est majoritairement sous-recyclé, c’est-à-dire transformé en un produit de moins bonne qualité. + Le type de plastique le plus susceptible d’être recyclé est le PET ou plastique numéro 1, qui est transparent, solide et léger. Mais Sarah King souligne qu’il s’agit d’une matière intrinsèquement déficiente qui finira immanquablement par devenir un déchet, parce qu’elle se détériore au fil du temps. 

+ Le plastique coloré a une moins bonne valeur de revente, car le pigment ne peut pas en être retiré, ce qui le rend moins attrayant pour les acheteurs. C’est la raison pour laquelle de nombreuses installations s’en tiennent au plastique transparent ou blanc, plus demandé. Il y a donc de fortes chances que notre bouteille de shampooing bleu ciel, même si elle est techniquement recyclable, prenne le chemin du dépotoir. 

+ Selon Katherine Pazakis, le styromousse est l’un des plastiques les moins avantageux, puisqu’il ralentit le processus de recyclage, ce qui explique pourquoi on ne peut généralement pas le déposer dans le bac vert. 

Certes, la composition de l’emballage importe, mais elle ne représente qu’une partie de l’équation. Subsiste la question des résidus au fond du contenant (vous savez, ce fond de shampooing visqueux ou ce vieux restant de vernis à ongles séché?). Même si on prend le temps de nettoyer le contenant le mieux possible, il y a de quoi décourager plus d’un centre de tri. Pire encore: si un produit a coulé dans notre bac de recyclage, l’ensemble de l’œuvre risque d’être considéré comme contaminé, et il sera jeté. Il y a aussi la question de la taille. Quand les petits contenants sont triés mécaniquement, ils peuvent ne pas être reconnus par les machines et se retrouver à la poubelle. En bref, les chances ne sont pas favorables aux consommateurs de produits de beauté désireux de réparer les torts causés à la planète. 

C’est ici que des entreprises de recyclage comme TerraCycle et Pact Collective entrent en jeu. Elles apportent une réponse précieuse aux lacunes des programmes de collecte sélective en s’associant à de grandes marques et à des détaillants de beauté. Sarah King fait cependant remarquer que ces initiatives ne constituent pas une panacée. «Ça ne veut pas dire que tous les produits seront recyclés. L’entreprise doit veiller à ce que chaque article ou chaque emballage soit retourné et qu’il demeure dans la chaîne du recyclage.» 

Katherine Pazakis assure que chez TerraCycle, tous les produits conformes sont recyclés. L’entreprise inspecte visuellement et manuellement la marchandise reçue et vérifie qu’elle ne contient pas de déchets. Ensuite, les articles sont lavés, déchiquetés et triés, puis placés sous un capteur qui détermine le type de plastique dont chacun est fait. Les métaux sont séparés à l’aide d’aimants, et les particules de verre sont pulvérisées, puis transformées en verre recyclé. «C’est un processus complexe, car les produits cosmétiques peuvent contenir un grand nombre de matières différentes», dit la directrice commerciale.

Pas évident non plus pour les acheteurs, qui peuvent avoir l’impression qu’il n’y a pas vraiment de «bonne» option (sauf celle de ne plus jamais rien acheter, ce qui, avouons-le, n’est tout simplement pas réaliste). Sarah King estime que la responsabilité ne doit pas incomber uniquement aux consommateurs. «Dire à vos marques et à vos détaillants préférés que vous voulez des articles zéro déchet, durables et socialement responsables peut avoir un impact important sur eux et les inciter à revoir leurs pratiques commerciales. La voix et l’argent des consommateurs leur confèrent un pouvoir énorme.»  

Les géants verts

Grâce aux programmes de recyclage présentés cidessous, on peut se débarrasser de nos contenants de produits de beauté vides en ayant bonne conscience. 

L’ORÉAL

On trouve des points de dépôt dans les Walmart et chez Jean Coutu. Bien que le programme soit financé par L’Oréal, toutes les marques sont acceptées. 

SEPHORA

On peut déposer nos contenants vides dans le bac de collecte prévu à cet effet dans tous les magasins Sephora. Ils seront réutilisés pour fabriquer des tapis, des boîtiers, de l’asphalte ou encore de nouveaux emballages. 

LA BAIE D’HUDSON

La Baie offre 5 $ en points Primes pour chaque tranche de 5 contenants de produits admissibles qui lui sont retournés pour être recyclés. 

HOLT RENFREW

Des boîtes de recyclage sont à notre disposition dans les espaces beauté de Holt Renfrew. On peut y déposer nos contenants vides, qui seront triés, séparés et utilisés pour en fabriquer de nouveaux. 

WINNERS

Une panoplie de produits peuvent être rapportés dans les Winners: bouteilles et pots en plastique (d’une contenance inférieure à 60 ml), tubes compressibles, mascaras, rouges à lèvres, etc. 

M·A·C

Les boutiques M·A·C participantes déchiquètent, lavent, nettoient et recyclent nos contenants vides propres pour fabriquer de nouvelles matières, voire de nouveaux produits M·A·C Les emballages qui ne peuvent être recyclés subiront une valorisation énergétique. 

L’OCCITANE EN PROVENCE

Il suffit de rapporter n’importe quel contenant de produit de beauté vide dans une boutique L’Occitane pour obtenir 10 % de rabais à notre prochain achat. 

TERRACYCLE

Parmi les marques participant à ce programme figurent Burt ’s Bees, eos, göt2b, Living Proof, Paula’s Choice, Schwarzkopf et Weleda. Il suffit d’imprimer l’étiquette d’expédition prépayée et d’envoyer nos contenants vides par la poste. À noter: pas besoin de les nettoyer (parce que si vous avez déjà essayé de récurer un tube de mascara, vous savez que ce n’est pas du gâteau).

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