Johanne a reçu le diagnostic du trouble bipolaire il y a deux ans, à l’âge de 46 ans, à la suite d’une dépression. Mais elle vivait avec les symptômes de la maladie depuis l’adolescence. «J’ai toujours su que quelque chose n’allait pas, mais je l’attribuais à mon enfance, à un contexte de vie difficile. Alors, je me suis tournée vers les médecines douces et les cours de développement personnel. J’ai suivi toutes les formations possibles, sans jamais trouver une réponse à la lourdeur de vivre que je ressentais.»

Les personnes bipolaires présentent des périodes de dépression grave suivies d’épisodes d’euphorie ou d’irritabilité. Ces phases sont en général entrecoupées de périodes de stabilité lors desquelles leur fonctionnement est relativement adéquat. Ces changements d’humeur, qui peuvent durer des jours, des semaines ou des mois, amènent des problèmes au travail ainsi qu’avec la famille et les amis. Ils peuvent conduire à l’abus d’alcool ou de drogues, à des faillites, à l’hospitalisation, à l’emprisonnement ou au suicide.

C’est après avoir été hospitalisée pour une psychose que Juliette a appris qu’elle était bipolaire. Un diagnostic qui a sonné comme une délivrance. «Je savais depuis longtemps que ça ne marchait pas. Je pouvais être irritable, mais je passais pour avoir un caractère de chien. J’avais du mal à gérer mes émotions… Pour la première fois, j’avais une explication et je savais qu’il y avait quelque chose à faire», raconte la femme de 42 ans, qui a suivi sa première psychothérapie à 19 ans et fait sa première dépression à 30 ans, sans jamais entendre parler de trouble bipolaire. «Si je n’avais pas eu de psychose, je ne sais pas si on m’aurait diagnostiqué cette maladie. Même si, avec le recul, je me souviens de périodes où je pouvais travailler 60 heures tout en m’occupant des enfants et d’autres où je n’avais envie de rien.»

Selon les données de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, environ 100 000 Québécois seraient atteints d’un trouble bipolaire, mais seulement 10% d’entre eux auraient reçu un diagnostic et suivraient un traitement. Des chiffres troublants quand on sait que la bipolarité accroît de façon importante le risque de suicide.

Les médecins prescrivent généralement des stabilisateurs de l’humeur afin de réduire les grandes phases dépressives et maniaques. «On traverse des hauts et des bas quand même, mais ils sont moins importants. Dans mon cas, ça m’a enlevé toute forme d’idée suicidaire», raconte Johanne.

Marie-Andrée, 49 ans, regrette parfois ses grands élans. «J’étais hypersensible, je pleurais à rien en regardant des films. Aujourd’hui, mes émotions sont… non pas émoussées, mais peut-être moins aiguës. J’étais du genre à me réjouir beaucoup du moindre événement. Ça me manque un peu.» «Je n’ai presque plus de grandes joies, mais plus de grandes peines non plus. Je peux m’en ennuyer, mais si je fais la liste des avantages, je constate que j’ai une meilleure qualité de vie avec les médicaments. Et mon jugement est plus clair», ajoute Juliette, qui dit avoir fait des choses risquées sous le coup de l’impulsivité.

Médicaments: un dosage difficile

Il faut cependant des mois, parfois des années, avant de trouver la bonne combinaison de médicaments et le bon dosage. L’état de Marie-Andrée est aujourd’hui stable, mais elle a d’abord vécu deux ans de montagnes russes. «Il y avait des moments où j’étais bien, puis je retombais en dépression. Je réussissais à travailler, sauf que des fois, je devais me retirer en pleurs.» Pour Juliette, le processus a pris quatre ans. Une longue période qui lui a permis de se reconstruire et de renouer avec le marché du travail. Adepte des médecines naturelles, Johanne a mis des mois avant de se résoudre à prendre des médicaments. «J’ai beaucoup cherché et lu avant d’accepter, mais ça a changé ma vie. Avant, je devenais très irritable facilement. Ce n’est plus le cas, à moins d’un stress aigu dans ma vie. Je suis devenue un ange», lance-t-elle en riant.

Mais les médicaments ne règlent pas tout, même si c’est ce que Johanne aurait souhaité. «Notre rythme de vie doit changer. Le sommeil est très important pour moi, par exemple, et je sais que je dois réduire la caféine et faire attention à l’alcool. Il faut aussi avoir des relations et un environnement sains pour nous.»

Le traitement pharmacologique s’accompagne en général d’une psychothérapie pour aider les personnes atteintes à prévenir les épisodes de manie en régulant le stress, le sommeil, l’alimentation et la pratique d’activités physiques.

On ne connaît pas les causes du trouble bipolaire, mais les recherches semblent indiquer une prédisposition génétique. Alors que le trouble touche 1% des adultes, l’incidence augmente à 15% dans une même famille. La consommation de drogues, les événements stressants ou traumatisants, une blessure ou une maladie peuvent aussi déclencher des épisodes.

Marie-Andrée et Juliette s’inquiètent pour leurs adolescents. Le fils de Marie-Andrée a fait une dépression l’an dernier. L’aînée de Juliette a reçu un diagnostic de bipolarité quelques mois avant elle. Et une autre de ses filles présente des symptômes de grande irritabilité. «Ça m’inquiète, mais grâce aux médicaments, je le vis avec moins d’anxiété», dit Juliette.

 

Les symptômes du trouble bipolaire

La phase de manie est caractérisée par:

  • Moins grand besoin de sommeil
  • Énergie débordante ou irritabilité excessive
  • Comportement impulsif et agité
  • Estime de soi exagérée
  • Élocution rapide ou besoin de parler sans arrêt
  • Pensées rapides ou sensation d’un trop plein d’idées
  • Incapacité à fixer son attention
  • Recrudescence de l’activité sur les plans social, professionnel ou scolaire
  • Les personnes affectées peuvent également faire l’expérience d’idées délirantes (des croyances fermes, mais impossibles) et d’hallucinations. Les périodes de manie varient parfois en intensité.

 

Les symptômes de la phase dépressive sont les suivants:

  • Sentiment de tristesse, humeur dépressive pratiquement toute la journée, presque tous les jours, pendant au moins deux semaines
  • Perte d’énergie et fatigue
  • Perte de l’intérêt et du plaisir
  • Troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie)
  • Troubles de l’appétit avec perte ou gain de poids
  • Agitation ou ralentissement psychomoteur
  • Baisse de concentration ou de l’aptitude à penser, ou indécision
  • Retrait social ou comportements agressifs subits
  • Pensées de mort récurrentes (60% des cas); idées suicidaires récurrentes (15% des cas)

Généralement, un cycle est constitué de trois phases: maniaque, dépressive et stable. Quand il y en a plus de quatre dans une année, on parle de cycles rapides. Les périodes de dépression s’échelonnent en moyenne sur 10 mois, alors que les phases de manie durent de trois à six mois.

Pour en savoir plus:

  • Association canadienne pour la santé mentale
    Revivre (Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires); ligne d’écoute: 514 738-4873 ou 1 866 REVIVRE
  • Le trouble bipolaire: pour ceux qui en souffrent et leurs proches, par Marie-Josée Filteau et Jacques Beaulieu, Éditions La Semaine, 2008.
  • Maudite folle!, par Varda Étienne, Les Intouchables, 2009.