Il y a 10 ans, on n’associait généralement pas le mot détox au chou frisé, à la chlorophylle ou au curcuma… Autrefois lié au vice, le terme revêt désormais des airs trendy, qui séduisent autant les fabricants de produits naturels, alimentaires et pharmaceutiques que les vedettes et les influenceurs. Et malgré des promesses que la science a du mal à corroborer, on lui prête volontiers des vertus salutaires.

Soyons clairs: aucune donnée scientifique ne prouve que les détox aux jus verts et autres «potions» magiques fonctionnent. Les experts sont unanimes: grâce à ses organes, un corps en santé se nettoie tout seul, au rythme de son métabolisme. «Détoxifier» son organisme, au sens strict du terme, est impossible.

Julie DesGroseilliers, nutritionniste, conférencière et auteure, précise: «Nos organes filtrent quotidienne- ment les substances qui, si elles restaient dans notre corps, pourraient devenir nocives. Les reins, par exemple, diluent les déchets que nous évacuons ensuite en urinant.» Mais est-ce possible de donner un coup de pouce à ces organes qui nettoient notre organisme? Que dire à ceux qui affirment améliorer leur fonctionnement en faisant une détox? «Il existe effectivement une substance qui aide le corps à faire son travail, avance la nutritionniste. L’eau! Elle favorise l’absorption des nutriments et l’élimination des déchets, en plus de participer aux processus vitaux. Laissez tomber les smoothies à huit dollars et… buvez de l’eau!»

Par ailleurs, ces fameuses cures détox comprennent des risques. Rappelons que les jus, pilules et granules miracles sont en vente libre, donc consommés (et mélangés) un peu n’importe comment. Si l’efficacité des cures détox ne trouve pas d’assise scientifique, leurs effets potentiellement nocifs, eux, sont réels: carences alimentaires, déshydratation (notamment si l’on utilise des produits diurétiques ou laxatifs), diarrhées et sautes d’humeur (si le corps est en état de privation).

Catherine Lefebvre, nutritionniste et auteure de Sucre: Vérités et conséquences, observe que, bien souvent, les gens qui font des détox mangent déjà très sainement. «Pour une raison obscure, ils considèrent que ce n’est pas assez et veulent aller plus loin. Mais si notre foie, nos reins et nos intestins dépendaient d’un apport en jus d’épinards pressés à froid pour opérer, le commun des mortels ne serait plus de ce monde!» L’idée de se nettoyer davantage, mieux, ou plus vite, demeure cependant séduisante pour plusieurs. «C’est dangereux d’entretenir ce genre de croyances. Ça peut rapidement frôler l’orthorexie (l’obsession de s’alimenter sainement), rappelle Catherine Lefebvre. De l’autre côté du spectre, on trouve aussi ceux dont le mode de vie n’est pas santé du tout, ou qui se sentent coupables après avoir trop mangé ou trop fait la fête, par exemple. Eux vont faire un régime pour se donner bonne conscience… On a beaucoup de difficulté à trouver un juste milieu.»

Les personnes adeptes des détox parlent souvent d’un sentiment de légèreté, de mieux-être, d’énergie décuplée… Si les cures ne fonctionnent pas, comment se fait-il que ces effets soient ressentis? «Si vous vous alimentez exclusivement de jus ou de smoothies pendant une semaine, vous allez certainement vous sentir léger. Il n’y a pas grand-chose à digérer dans un jus… Il ne faut cependant pas oublier que les jus contiennent du sucre, et que l’excès de sucre se transforme inévitablement… en gras, explique Catherine Lefebvre. D’ailleurs, posez-vous la question: est-ce que je serais capable de manger ainsi pour le restant de mes jours? Si la réponse est non, c’est probablement que cette cure est une mauvaise idée.»

Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans les troubles alimentaires, auteure et fondatrice de l’organisme Bien avec mon corps, ajoute que «ce qui est ressenti comme un surplus d’énergie lors d’une détox n’est qu’un réflexe d’adrénaline lié à la privation. Ce n’est pas vraiment de l’énergie, mais plutôt le corps qui se met en mode survie. C’est un high qui ne dure pas.» Sur le plan psychologique, la spécialiste avance qu’être dans le contrôle extrême est euphorisant. «C’est normal de se sentir performant, voire exceptionnel, quand on ingère une boisson vitaminée pendant que le voisin mange une poutine. C’est valorisé, parce que peu de gens réussissent à s’en tenir strictement à leur régime.»

Entre bonne volonté et excès de zèle, comment maintenir l’équilibre? «Alterner consommation irréfléchie et détox n’est pas une solution viable», souligne Catherine Lefebvre. Au-delà des actions qu’on entreprend, on devrait repenser nos perceptions. «Le concept de punition est omniprésent quand on parle de bouffe. Je trouve ça épouvantable d’entendre des gens dire qu’ils ont triché», relate la nutritionniste. «Pour les résolutions de début d’année, tentez d’être positif, conseille la nutritionniste. Au lieu de réduire la consommation de tel ou tel aliment, prenez la décision de cuisiner davantage ou d’ajouter des éléments sains dans votre alimentation.» Julie DesGroseilliers rappelle qu’il faut arrêter de croire aux miracles: «Bougez, faites des fruits et légumes les vedettes de votre assiette, et buvez de l’eau!» De son côté, Dre Léonard recommande à ses patients d’appliquer dans leur alimentation la règle du 80/20 – 80 % santé et 20 % plaisir – et de cesser de lire tous les livres et articles (oups!) qui portent sur la nourriture. «Il y aura toujours des discours alarmistes ou glorifiants sur certains aliments, qu’on croit à tort et à travers nuisibles ou miraculeux. Notre société est obsédée par la bouffe! Mais n’oublions pas que, derrière la tendance, il y a une industrie qui fait énormément de profits en jouant sur nos insécurités et notre désinformation.» À notre pain quotidien (pour ceux qui en mangent), il conviendrait donc d’ajouter une bonne dose d’autodéfense intellec- tuelle et de prendre les modes alimentaires avec… un grain de sel!

À propos de l’orthorexie

Observée depuis les 15 dernières années, l’orthorexie n’est pas encore officiellement considérée comme un trouble alimentaire, car les critères de diagnostic ne sont toujours pas clairement établis. Quoiqu’il soit difficile d’obtenir des statistiques au sujet de ce trouble, il pourrait bien être plus présent qu’on le pense. Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans les troubles alimentaires, explique que ce comportement naît d’abord d’une volonté de bien manger. De petits changements graduels sont apportés à l’alimentation, puis prennent de plus en plus de place, jusqu’à créer une véritable anxiété. Ceux qui souffrent d’orthorexie s’imposent de nombreuses règles quant à leur régime, et le fait de déroger à l’une d’elles entraîne un grand sentiment de culpabilité et d’angoisse.

Détox à toutes les sauces

Aujourd’hui, l’engouement pour tous les produits étiquetés «détox» sort du frigo! À preuve, on nous propose maintenant de faire la détox de notre garde-robe (Caroline Rector propose sur son blogue Un-fancy une garde-robe capsule de 37 pièces, sorte de Weight Watchers du placard!), de notre appartement (les blogues sur le minimalisme pullulent!) et même de faire une détox numérique, soit de vivre coupé d’internet et de la technologie pour un certain temps. L’idée de se purifier de toutes les nuisances, de tous les déchets, s’étend non seulement à notre organisme, mais aussi à notre espace, voire à notre vie entière. Fabien Loszach, entrepreneur, stratège interactif et docteur en sociologie, rappelle que cet élan n’est pas si éloigné du puritanisme religieux. (D’ailleurs, presque tous les intervenants de ce reportage ont soulevé le lien entre désir de purification et religion.) Les rites de purification existent depuis des millénaires et s’intègrent à de nombreuses pratiques religieuses. Cela n’a donc rien de nouveau! Qu’on en soit conscient ou non, cet héritage religieux participe à notre définition de l’humain idéal. «Il y a, chez plusieurs personnes, une envie quasi mystique de se déconnecter pour aller à la rencontre de soi-même. En 2018, cet état de bien-être total, de pureté et de reconnexion avec soi, on le recherche notamment à travers les détox numériques.» Loszach cite à cet effet le journaliste Thierry Crouzet, qui a décidé de vivre six mois sans internet, après en avoir fait une «overdose». À la suite de son expérience, le journaliste a publié un livre (J’ai débranché, chez Fayard), qui raconte comment il s’est «trouvé» grâce à cette déconnexion. À noter que, contrairement aux détox alimentaires, les détox numériques ne causent aucune carence… mais peuvent entraîner quelques likes en moins!