Diète sans gluten: nouvelle mode

Lorsqu’il s’agit de tester le dernier régime à la mode, Geneviève Lanctôt est comme un scout: toujours prête! «Je livre mon corps à la science», lance à la blague cette traductrice de 36 ans. La jeune femme est enrobée; elle a des fesses rebondies et des joues rondes, sans plus. «C’est l’image de ma mère qui me hante», dit-elle pour justifier son obsession. «Elle a beaucoup de kilos en trop et souffre de problèmes cardiaques.»

Dans le salon de Geneviève, une étagère de la bibliothèque ploie sous les livres qui prétendent offrir LA recette pour maintenir un poids santé ou refaire le plein d’énergie: méthode Montignac, Atkins, régime South Beach… et même régime à base de limonade! «J’en ai essayé plusieurs, avec plus ou moins de bonheur.»

Au mois de mars dernier, elle a entrepris son expérience la plus ambitieuse à ce jour: éliminer de son alimentation toute trace de gluten, une protéine qu’on trouve dans les céréales comme le blé, l’avoine, le seigle et l’orge. «J’avais entendu dire que ça permettait de hausser le niveau d’énergie et de maigrir. Je me suis dit que ça me ferait du bien avant l’arrivée du printemps.»

 

Diète sans gluten: le bon grain et l’ivraie

«Les diètes sans gluten sont à la mode, et bien des personnes les suivent pour des raisons complètement farfelues», déclare le Dr Mickael Bouin, gastroentérologue à l’Hôpital Saint-Luc du CHUM. «Après tout, ce n’est pas une substance toxique. Aucune étude n’a montré qu’elle jouait un rôle dans l’apparition d’une fibromyalgie, encore moins dans les fonctions cérébrales. Dans le cas de l’autisme, c’est carrément absurde!»

Ce qui ne veut pas dire que ces régimes sont bons pour la poubelle. À qui devraient-ils s’adresser? «Aux personnes qui ont la maladie coeliaque », répond le médecin. Chez elles, le gluten déclenche une réponse anormale du système immunitaire qui endommage la surface de l’intestin grêle. Elles ont des crampes et des diarrhées. À long terme, parce que les aliments sont mal absorbés par l’intestin, elles peuvent devenir anémiques et courent plus de risques de souffrir d’ostéoporose.

Selon une étude de la célèbre clinique Mayo, aux États-Unis, la prévalence de la maladie coeliaque aurait quadruplé au cours des 30 dernières années. Elle toucherait aujourd’hui 1 personne sur 100. «Les affections immunologiques sont en croissance, confirme le Dr Bouin. On ne comprend pas encore toute la mécanique de ce phénomène, mais on sait que notre système immunitaire n’est plus stimulé de la même façon qu’autrefois durant les années de croissance. L’alimentation des nourrissons a changé, les mesures d’hygiène aussi.»

L’intolérance au gluten a beau être incommodante, 9 personnes sur 10 atteintes de la maladie coeliaque ignorent qu’elles le sont! Et il faut en moyenne une dizaine d’années pour obtenir un diagnostic. «J’ai souffert d’anémie et de migraines pendant des années, sans que les médecins puissent expliquer pourquoi», raconte Rachel Proulx, une technologiste agricole âgée de 42 ans qui habite le Bas-Saint-Laurent. «Il y a quatre ans, un docteur a enfin compris pourquoi, et ça a changé ma vie.»

Jane Fortier, graphiste de 30 ans, a eu des crampes abdominales une bonne partie de sa jeunesse avant qu’un médecin d’une clinique privée découvre il y a cinq ans qu’elle était intolérante au gluten. «Ç’a été un choc au début. J’ai appris que je ne pourrais plus manger un tas de choses: des viennoiseries, des sushis, etc. Comme je suis un peu gourmande, j’ai dû en faire mon deuil.»

Depuis quelques années, un test sanguin permet de déterminer rapidement si un individu réagit anormalement à la fameuse protéine. On procède ensuite au prélèvement de tissus de l’intestin (biopsie) pour confirmer que c’est bien le cas.

Diète sans gluten: lubie de stars

Depuis deux ans, plusieurs célébrités claironnent les prétendues vertus de cette méthode. Gwyneth Paltrow l’a essayée pendant sept jours et a raconté son expérience en détail sur son blogue GOOP (goop.com). La star voulait, écrivait-elle, perdre quelques kilos et «détoxifier» son corps.

À son émission télé, Oprah Winfrey a dit qu’elle avait fait une «cure» de trois semaines, éliminant de ses repas la viande, les produits laitiers, le sucre, la caféine… et le gluten.

Au printemps 2009, le livre The G Free Diet: A Gluten-Free Survival Guide, signé par Elisabeth Hasselbeck, qui anime la populaire émission The View avec Barbara Walters, trônait au top 10 des meilleurs vendeurs du site Amazon.

En l’espace de quelques mois, cette protéine est devenue non grata. Que lui reproche-t-on exactement? Les accusations fusent: elle provoquerait des réactions allergiques, des maux de ventre, de la fatigue… Certains prétendent que le régime sans gluten améliore la concentration et favorise la perte de poids. D’autres vont jusqu’à proposer de le suivre pour combattre la fibromyalgie, et même l’autisme!

Diète sans gluten: à chacun son grille-pain

Chasser le gluten de son assiette n’est pas une mince affaire. Il se cache partout: non seulement dans le pain, les pâtes, les croissants, les gâteaux ou la bière, mais dans pratiquement tous les aliments transformés qu’on achète à l’épicerie, de la sauce soya jusqu’aux potages en sachets. «On en trouve même dans les épices», signale Stéphanie Côté, nutritionniste chez Extenso, le portail d’information de NUTRIUM, le centre de référence en nutrition de l’Université de Montréal.

La bonne nouvelle? L’augmentation du nombre de boutiques spécialisées qui offrent des produits de boulangerie sans gluten, à base de farine de sarrasin ou de maïs, par exemple. Une poignée de restaurants commencent aussi à indiquer sur leur carte les plats qui n’en contiennent pas; et quelques chaînes d’épicerie ont emboîté le pas. Elles sont cependant encore rares: «Chez moi, au Témiscouata, il est à peu près impossible de trouver des aliments sans gluten, dit Rachel Proulx. Heureusement que mon travail m’amène à voyager à Rivière-du-Loup, à Rimouski et à Québec.»

Des entreprises spécialisées qui vendent leurs marchandises en ligne, comme Les glutineries (www.les glutineries.com), peuvent s’avérer salutaires. Mais la meilleure option reste de cuisiner à la maison avec des produits frais, comme les fruits et les légumes, la viande, la volaille, les poissons non assaisonnés par le marchand. «C’est ce qu’il y a de plus sûr, car, pour quelqu’un qui souffre d’une intolérance à cette protéine, même une poussière de farine peut être nuisible », explique la nutritionniste Stéphanie Côté.

Les personnes atteintes par la maladie coeliaque ont d’ailleurs souvent leur propre grille-pain, pour éviter que leurs rôties sans gluten ne soient contaminées par le pain des autres membres de la famille. Elles ont leurs propres contenants de beurre d’arachides et de confitures, au cas où des traces de gluten auraient été laissées dans le pot collectif par le couteau d’un autre.

Geneviève Lanctôt n’est pas allée aussi loin pour respecter ce régime, mais assez pour hérisser son chum. «Il n’en pouvait plus, raconte-t-elle. Je passais mon temps à lire les ingrédients de chaque aliment.» Elle a finalement abandonné l’aventure après trois semaines.

«Suivre ce genre de diète est tout sauf facile, prévient le Dr Bouin. Les personnes qui ont la maladie coeliaque sont bien placées pour le savoir. Je ne vois absolument pas pourquoi on se lancerait dans ce genre d’aventure si ce n’est pas nécessaire.»

 

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