Au régime depuis l’âge de 11 ans, Kelsey Miller a fait un constat amer l’automne dernier: les diètes la rendaient misérable. «Non seulement je reprenais toujours le poids perdu, mais toute ma vie ne tournait plus qu’autour de la privation, des « bons » et des « mauvais » aliments, sans compter les multiples entraînements de fou que je m’imposais!» déclare la journaliste américaine de 30 ans, qui écrit pour Refinery29, un site Web consacré à la mode et au style de vie.

En novembre dernier, après un programme sportif de «combattante spartiate» particulièrement éreintant, Kelsey Miller a donc décidé d’en finir avec les régimes. C’est à ce moment-là qu’elle s’est souvenue d’un livre fort intéressant – Intuitive Eating, A Revolutionary Program that Works, d’Evelyn Tribole et Elyse Resch – et qu’elle a décidé d’adopter cette démarche d’alimentation intuitive, puis de relater son expérience sur son blogue Anti-Diet Project. Il est vrai que cette démarche a tout pour séduire: on se réconcilie avec la nourriture, on redécouvre le plaisir de manger, on apprend à aimer son corps et on renoue avec son poids naturel.

Ras-le-bol des régimes

«L’alimentation intuitive consiste tout simplement à manger quand on a faim, à arrêter une fois rassasié et à ne pas avoir d’interdits alimentaires», explique la bachelière en nutrition et en sexologie Guylaine Guevremont, qui vient de publier un livre sur le sujet, Manger ses émotions (Les Éditions Transcontinental). De nombreux mangeurs intuitifs vont aussi un peu plus loin en faisant appel à la pleine conscience alimentaire, grâce à laquelle on apprend à savourer son repas sans distraction et à observer ce qui se passe à l’intérieur de soi. Bref, de la méditation gustative, qui permet de se reconnecter avec ses sensations et avec le plaisir de manger.

> Les 10 principes de la mangeuse intuitive

Les premiers ouvrages qui vantaient les mérites de l’alimentation intuitive ont été publiés dans les années 1980. C’est toutefois en 2010 que le concept est devenu tendance, quand Oprah Winfrey elle-même – une abonnée aux régimes – a affirmé en être une adepte.

«Les gens sont rendus là», croit Guylaine Guevremont, qui est aussi fondatrice de la clinique MuUla, spécialisée dans les problèmes de poids, d’image corporelle et de troubles alimentaires. «On a tellement analysé et critiqué le contenu de notre assiette qu’une sorte de fatigue s’est installée. On veut arrêter de toujours envisager la relation aux aliments avec notre tête et faire plutôt confiance à notre corps.»

«L’intérêt pour cette approche traduit un certain ras-le-bol des régimes amaigrissants, qui se révèlent inefficaces à long terme», estime Véronique Provencher, professeure à l’Université Laval, qui a étudié l’effet de l’alimentation intuitive sur 50 femmes ayant multiplié les régimes par le passé. Son verdict? «Cette façon de manger est très prometteuse pour améliorer des comportements alimentaires problématiques. Au terme de cette expérience, qui a duré six semaines, les participantes ressentaient moins de culpabilité par rapport à la nourriture. Elles se sentaient plus libres de manger ce dont elles avaient envie, alors qu’elles avaient toujours pensé qu’il fallait se priver. Elles avaient aussi moins tendance à surconsommer quand elles étaient frustrées, en colère, ou juste quand il y avait de la nourriture sous leurs yeux.»

> 5 conseils pour apprendre à manger à sa faim

À première vue, il semble facile d’adopter cette nouvelle façon de manger, mais il s’agit de tout un défi, surtout pour les personnes usées par des années de régimes. «C’est comme s’il fallait que je me déprogramme et que je réapprenne à manger», remarque Kelsey Miller. Chez elle, les signaux de faim et de satiété, qui sont en principe aussi naturels que l’envie d’uriner ou de dormir, sont complètement détraqués. Les diètes à répétition dérèglent par exemple la sécrétion de leptine, une hormone qui facilite le contrôle de l’appétit en indiquant au corps qu’il est repu. «Le régime a pour effet de diminuer la leptine, ce qui augmente la sensation de faim», résume Angelo Tremblay, professeur de physiologie et de nutrition à l’Université Laval et spécialiste de l’obésité.

Écouter sa faim

Pour se reconnecter avec la faim, Mme Guevremont recommande de prendre chaque jour trois repas à heure fixe, ainsi que deux ou trois collations, en ne s’interdisant aucun aliment. «Il faut ressentir un creux dans l’estomac. Un bon moyen de percevoir cette sensation est d’attendre qu’elle se manifeste le matin, avant de s’attabler pour le déjeuner.»

La reconnaissance de la satiété – c’est-à-dire le sentiment d’avoir assez mangé – s’imposera d’elle-même avec le temps. «Les signes de satiété surviennent quand on recommence à avoir une relation saine avec notre corps, quand on arrive à concevoir que notre rôle est de le nourrir et non de le priver», affirme la spécialiste. Elle ajoute que, dans le doute, on cesse de manger et on attend 30 minutes, afin de vérifier si on est bel et bien rassasié.

Cela dit, qu’arrive-t-il quand tous les aliments sont permis? Peut-on vraiment assouvir toutes nos envies de chocolat, de poutine et de croustilles? Oui, affirment les mangeurs intuitifs et les nutritionnistes. Parce qu’on s’accorde enfin la liberté de le faire. Lorsqu’on est au régime, la privation exacerbe l’envie de manger tous ces aliments défendus. Résultat: on finit par en engloutir des portions déraisonnables.

> Les régimes amaigrissants à éviter

«Un mangeur intuitif ne dira jamais non à des croustilles, mais il n’ira pas non plus jusqu’au fond du sac, signale Mme Guevremont. Une fois son désir comblé, il passera à autre chose.» Kelsey Miller le confirme: «Depuis que je m’autorise à manger ce que je veux, je me suis rendu compte, à mon grand étonnement, que je n’ai pas seulement envie de pizzas. J’ai aussi envie de salades, et je trouve la pizza et le chou frisé aussi satisfaisants l’un que l’autre!»

Le siège des émotions

Il n’y a pas que la restriction qui excite notre désir pour les aliments dits mauvais pour la santé. Les émotions perturbent aussi l’appétit. «Le système de digestion est le siège des émotions, souligne Mme Guevremont. Ce n’est pas pour rien qu’il existe des expressions associant les deux, comme « avoir des papillons dans l’estomac » ou « se faire de la bile »».

À ce propos, Mme Guevremont précise que «manger ses émotions », c’est anesthésier ce qu’on vit intérieurement. «La colère, la tristesse et l’anxiété surgissent pour nous signifier que quelque chose ne va pas. Être à l’écoute de ses émotions – au lieu de les enterrer sous des barres chocolatées – permet de les vivre et, par conséquent, de se sentir mieux dans sa peau.»

Pour reconnecter avec nos émotions, Mme Guevremont propose de pratiquer la pleine conscience alimentaire. «Ce n’est pas compliqué: on mange en prenant acte de ce qui se passe en nous. Quelles sont les pensées qui nous viennent à l’esprit pendant qu’on mastique un aliment? Que ressent-on alors?»

La journaliste Kelsey Miller a fait sa première expérience de pleine conscience alimentaire avec une croustille, en se livrant à un exercice proposé par Jon Kabat-Zinn, une sommité internationale en méditation de pleine conscience, auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet et fondateur de la Clinique de réduction du stress et du Centre pour la pleine conscience en médecine. «Je devais d’abord me demander si j’avais vraiment faim et à quel point j’avais envie de cette croustille. Puis je l’ai observée, touchée et sentie, avant de la mettre dans ma bouche sans la mâcher, pour en ressentir le relief. Je l’ai enfin mastiquée lentement pour mieux en apprécier le goût et la texture.»

Manger ainsi cette grignotine a fait resurgir en elle des sentiments refoulés et de mauvais souvenirs qui avaient tous un point commun: pour la jeune femme, les chips n’étaient pas seulement des chips, mais le symbole de ses kilos en trop. Elle en mangeait donc pour se punir. «Réaliser cela m’a permis de me libérer de ma relation amour-haine avec cet aliment, et j’en mange maintenant sans me culpabiliser.»

> Vivre sans gluten

Après huit mois, la partie n’est toutefois pas gagnée, ajoute la journaliste. «Quand on a passé, comme moi, toute sa vie à diaboliser les aliments et à manger ses émotions, ça reste très difficile de séparer la nourriture des sentiments. C’est un long processus thérapeutique.»

«C’est difficile et parfois même épeurant», reconnaît Mme Guevremont, qui a vécu le même genre d’expérience. La bachelière en nutrition et en sexologie a effectivement souffert de troubles alimentaires à l’adolescence et a mangé «l’équivalent de 35 livres d’émotions» à l’époque où elle était en couple avec un homme jaloux et possessif. «Dans mon cas, le seul fait d’avoir rompu avec lui a été suffisant pour que je retrouve ma capacité à reconnaître mes signaux de faim et de satiété», écrit-elle dans son livre. Elle a retrouvé son poids naturel en six mois environ, mais elle précise que la majorité des gens mettent plus d’une année à y parvenir. Il est d’ailleurs préférable d’amorcer ce mode d’alimentation avec le soutien d’une nutritionniste experte en la matière.

 

Retrouver son poids naturel

Autre caractéristique de l’alimentation intuitive: elle ne vise pas la perte de poids. Guylaine Guevremont insiste sur un point: «Il ne faut surtout pas transformer les principes de cette approche pour en faire les règles d’un nouveau régime. On arrête de manger pour respecter son appétit, pas pour perdre du poids.»

S’alimenter de manière intuitive, ça consiste plutôt à miser sur son poids naturel, qui est, comme le dit Angelo Tremblay, «le poids qu’on a spontanément, sans qu’on ait à intervenir pour le changer. Certaines personnes seront maigres toute leur vie, d’autres seront potelées.» Et c’est loin d’être une mauvaise chose, car la minceur n’est pas forcément un gage de santé. «En quantité raisonnable, la graisse peut être notre amie, ajoute en riant le professeur Tremblay. On sait, par exemple, que les tissus adipeux ont un effet protecteur contre les polluants. Certaines de nos études ont aussi établi des liens entre la dépression et une perte de poids importante.»

«Les régimes amaigrissants sont encore très populaires, mais la réalité, c’est que plus on suit de régimes, plus on dérègle notre corps», se désole Mme Guevremont, pour qui l’alimentation intuitive va bien au-delà de l’acceptation de son image corporelle: «Manger ses émotions, c’est subir sa vie, tandis que l’alimentation intuitive permet d’en reprendre le contrôle, de mieux se connaître, d’être bien dans sa peau et, au bout du compte, d’avoir une meilleure estime de soi.»

À DÉCOUVRIR:

5 conseils pour apprendre à manger à sa faim
Les 10 principes de la mangeuse intuitive

8 vérités pour vivre en santé